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Chapitre 1 : 2031, partie 7


Catherine : 7 août 2031, 18h31, jeudi


J’allais ouvrir la porte pour pénétrer chez Évangéline lorsque je vis un taxi autonome s’arrêter dans la rue. Une lumière bleuâtre s’alluma à l’intérieur de la cabine et je vis Cecilia appuyer sa carte de crédit sur le lecteur intelligent. La portière s’ouvrit et Cecilia en sortit. J’entendis le robot intégré à la voiture remercier mon amie et lui souhaiter une bonne soirée. La portière se referma, mais le véhicule resta immobile, en attente de la réservation d’un prochain client.

Elle me rejoignit en quelques enjambées et me serra dans ses bras refroidis par l’air climatisé du taxi.

– Ça va, ma chérie? me demanda-t-elle.

– Ouin, toi?

–Arf! grogna-t-elle en levant les yeux au ciel.

– Oh, oh! m’exclamai-je. J’ai apporté juste une bouteille…

Cecilia se mit à rire et je tournai la poignée de la porte. J’entendis Caroline McCallum, l’animatrice de l’émission de jazz préférée d’Évangéline, présenter les chansons du prochain segment. Je m’engageai dans l’escalier suivi de Cecilia. La silhouette d’Évangéline se découpa en haut de l’escalier au moment où la chanson Caravan de Duke Ellington débutait.

– Salut, les filles!

Nous montâmes la rejoindre sur le palier où nous échangeâmes des étreintes.

– Et toi, comment ça va? demanda Cecilia.

– Bof! répondit Évangéline.

Cecilia se tourna vers moi.

– T’avais raison, on n’a pas assez de vin.

– Pourquoi dis-tu ça? questionna Évangéline en nous précédant jusqu’à la cuisine. Nous nous sommes toutes trois assises à nos places respectives autour de l’îlot de cuisine en érable.

– J’ai répondu « Ouin », Cecilia a répondu « Arf » et toi « Bof », expliquai-je.

Évangéline éclata de rire.

– J’ai exactement ce qu’il nous faut. Elle se pencha vers les tablettes du bas de l’îlot et en ressortit une bouteille de tequila.

Elle se leva ensuite pour attraper trois petits verres et déboucha la bouteille d’alcool d’une belle couleur ambrée.

Évangéline me tendit un shooter de tequila.

– Pas pour moi, merci. J’ai pu cet âge-là.

– Tais-toi, vieille picouille, et bois, rétorqua Évangéline en le déposant devant moi.

– C’est rare qu’on a le moral au tapis toutes les trois en même temps, commenta Cecilia.

– Gontran, baisse d’un degré le son de la radio svp, commanda Évangéline.

L’assistant vocal diminua le volume, épargnant nos oreilles de la musique tonitruante qui accompagnait la publicité de la société de transport en commun.

– C’est vrai, en général, on est au maximum deux sur trois, approuvai-je.

– Ok, cul sec, et ensuite on se raconte tout, dans l’ordre, proposa Évangéline en levant son verre devant elle.

– De mon côté, c’est pas grand chose, commentai-je en levant mon verre à mon tour.

– Moi non plus, rien d’alarmant, renchérit Cecilia.

– Merde, les filles, vous êtes chiantes! conclut Évangéline avant de vider son verre.

– Pourquoi? Parce qu’on n’est pas dépressives? rétorqua Cecilia en vidant son verre à son tour.

J’ingurgitai ma ration de tequila en grimaçant.

– Bon alors, Cecilia?

– Juste un crétin qui abuse de ma patience. On a un nouveau membre au conseil d’administration. Un jeune v.-p. de la Banque du Québec qui est convaincu qu’il sait comment régler tous les problèmes de l’organisation à lui tout seul. Il nous propose des solutions auxquelles on a déjà pensé voilà dix ans, qu’on a analysé, qu’on a essayé et qui n’ont pas donné les résultats attendus, mais il a l’air de croire que c’est de notre faute parce qu’on travaille mal. Il est très agressif. Il fait des demandes directement aux employés. J’ai dû le ramener à l’ordre et il l’a visiblement mal pris. À la dernière réunion, il a tenté de discréditer mon travail. Comme directrice générale, j’ai décidé de gérer de manière la plus consensuelle que je peux. En général, ça demande beaucoup d’humilité, mais avec lui, on parle plutôt d’abnégation. C’est un choix que j’ai fait, mais pourtant j’ai comme honte de l’avoir laissé me, me, me…

– Piétiner? suggéra Évangéline.

– Ouin, on pourrait dire ça. J’ai le soutien des autres membres du conseil, mais je sens qu’ils se demandent pourquoi je ne le remets pas à sa place. Ça me donne l’air faible et non magnanime.

– C’est un dilemme éthique, proposai-je.

– Qu’est-ce que tu veux dire?

– Si tu le remets à sa place, tu trahis les principes que tu as choisi. Si tu ne le remets pas à sa place, tu te trahis toi-même en n’assurant pas ta propre défense. Il n’y a pas de solution miracle, il va falloir que tu choisisses ton inconfort. Trahir tes principes ou ta personne.

Cecilia réfléchis un moment.

– Je comprends ce que tu veux dire, dit-elle, mais c’est pas ça. Mon problème, c’est j’ai été incapable de me défendre. Je suis restée figée.

Évangéline se redressa sur son siège.

– Hein? fit-elle. Toi, Cecilia Malone, pas capable de te défendre? Elle se tourna vers moi, voudrais-tu lui rappeler comment elle a réussi à terroriser le plus gros joueur de l’équipe de football, qui faisait deux fois son poids…

La sonnette de la porte retentit et Évangéline se leva pour aller ouvrir.

– Je préfère aller chercher le repas plutôt qu’écouter ça, franchement, rétorqua-t-elle.

Cecilia se tourna vers moi.

– J’ai perdu la main, poursuivit-elle. Je n’ai plus… l’oeil du tigre. Tu comprends?

– L’oeil du tigre, vraiment? cria Évangéline qui avait tout entendu.

– Impossible, ce ne serait pas plutôt parce qu’il ne te fait pas peur? Ou que tu le prends en pitié?

Cecilia haussa les épaules.

– C’est comme le vélo, ce sera toujours là, ajoutai-je pour l’encourager.

Évangéline revint avec un sac de papier.

– J’ai commandé de l’afghan.

– Tu ne voulais pas qu’on termine les plats de votre traiteur? demandai-je

Évangéline prit un air catastrophé.

– Pitié, non, je n’en peux plus. J’en mange depuis trois jours. J’espère d’ailleurs que vous allez repartir avec le reste. Sinon, je fous le tout à la poubelle.

Je me levai pour mettre le couvert pendant que Cecilia plaçait les napperons et qu’Évangéline ouvrait les barquettes en aluminium, embaumant la cuisine d’une riche odeur de carry. Ce n’est qu’une fois assise chacune devant notre assiette et que nous eûmes porté un toast à notre amitié que je m’autorisai à lui demander :

– Et toi, Évangéline? Qu’est-ce qui se passe de ton côté?

Elle plaça sa main devant sa bouche et termina de mastiquer avant de répondre.

– Je n’ai plus d’idées, je suis à sec. J’espère presque que les japonais refuseront notre offre, parce que sinon, on est dans le caca.

– Tu leur as fait une proposition, non?

– Oui, mais c’est juste du vent, des mots creux…

– Ne t’inquiète pas, l'inspiration va revenir. C’est toujours revenu, l’encouragea Cecilia, répétant sans s’en rendre compte l’argument que je venais juste de lui servir.

– En fait, le problème, c’est que je m’en fous. J’en n’ai plus envie.

Cecilia prit un air alarmé. Évangéline avait toujours voulu être une artiste. Elle avait travaillé avec acharnement et s’était taillé une réputation enviable dans le monde de l’art événementiel et numérique.

– Comment ça? demanda Cécilia

– Tu ne peux pas laisser tomber Cornélius et Simon, protestai-je.

Évangéline balaya mon argument d’un geste de la main désinvolte.

– Ils n’ont aucunement besoin de moi. Simon est plus que prêt à prendre relève, affirma-t-elle. J’ai besoin de me mettre en jachère. Une très longue jachère…

– Peu importe ce que tu vas décider, plaidai-je, on va être là Cecilia et moi pour te soutenir. Mais ne prends pas de décisions précipitées. L’art, c’est toute ta vie.

– Ouin.

Elle réfléchit un moment, puis elle inspira profondément et jeta :

– J’ai tout donné à l’art. Et qu’est-ce que ça m’a donné en retour? Rien. À part vous quatre, je n’ai rien.

Cécilia se pencha vers elle et lui caressa la main avec un sourire en coin.

– C’est déjà pas mal, non?

Son air narquois habituel s’effaça un moment du visage d’Évangéline et je remarquai que des larmes brouillait son regard.

– Il est temps que je pense un peu à autre chose.

– Qu’est-ce que tu veux dire? demanda Cecilia.

– Toi, tu as un mari, deux belles filles et toi, Catherine, tu as Simon…

– Peut-être, mais pour combien de temps encore? soufflai-je.

Cecilia et Évangéline partagèrent un sourire entendu.

– Quoi? demandai-je.

– On savait ben que c’était ça ton « ouin ».

– Combien de temps penses-tu que ça va prendre avant que Simon ne quitte la maison pour se prendre un appartement? Si Angela ne parvient pas à me le voler avant.

– Te le voler? répétèrent Cecilia et Évangéline en choeur.

– Tu n’exagères pas un peu? poursuivit Évangéline.

– J’ai trouvé la brochure de l’Église de son père dans mon recyclage.

Mes deux amies s'entreregardèrent, le visage durcit.

– Le saviez-vous, vous deux, que son père c’était le chef de l’opposition fédérale? demanda Évangéline.

Nous répondîmes toutes deux par la négative.

– En tout cas, elle va nous trouver sur son chemin, gronda Cecilia.

– Tiens, le revoilà, l’oeil du tigre! s’exclama Évangéline. Tu vois bien que tu ne l’as pas perdu.

Je sentis mes poils se hérisser sur mes bras et je frissonnai. Évangéline et Cecilia me dévisagèrent.

– Qu’est-ce que t’as? me demanda cette dernière.

Je pointai mes oreilles.

– Gontran, lève le son, commanda Évangéline.

La voix d’Angela s’éleva dans la cuisine.

… dimanche à 17h à l’Église des enfants de Jérusalem, à Beaconsfield. Jésus a donné sa vie pour vous sauver. Venez prier pour son retour.


Catherine : 8 août 2031, 13h10, vendredi


« Tournez à droite dans 500 mètres », annonça le gps de la voiture de sa voix atone.

Je repérai le salon mortuaire un peu plus loin et coupai le son de l’appareil. J’engageai ma voiture sur la voie de droite pour pouvoir ensuite accéder au stationnement. Celui-ci étant presque vide, je pus donc me garer près de l’entrée. Je poussai un soupir de résignation et attrapai mon sac avant de sortir de la voiture. Je déteste les salons funéraires.

À l’entrée, je repérai le panneau qui annonçait la distribution des salles sur lequel je trouvai le nom du Dr Pandele : Salle du jardin d’Éden. Que répondrai-je à la famille ou aux amis qui me demanderont qui je suis? Ou comment je connaissais le Dr Pandele? Je ne pouvais décemment pas leur dire que je ne l’avais jamais rencontré.

Juste avant de pénétrer dans la salle, je bifurquai vers les toilettes pour penser à une réponse possible à ces deux questions. Il était hors de question que je mente en affirmant que j’était une de ses ex. patientes. Et il était impossible de raconter la vérité sans être obligé d’entrer dans les détails.

La salle des toilettes qui était décorée dans les même matières que le reste des lieux : bois blond, métal et pierre, était vide. Je m’installai devant le miroir et entrepris de sortir mon rouge à lèvre de mon sac. Pourquoi étais-je venu au fait? Il ne pourrait jamais plus répondre à mes questions. Et lorsqu’il l’avait pu, il avait refusé de le faire. Pourquoi diable, étais-je donc venue jusqu’ici? Je revis Angela devant les caméras, derrière son père. Mes épaules se crispèrent. Je me regardai dans le miroir et, pendant un moment, je crus revoir la fille que j’étais lorsque j’ai fait sa rencontre. Et puis, merde, à la fin, me dis-je en redressant la tête. J’avais supprimé cette fille. Et je ne voulais plus redouter une nouvelle rencontre. Après tout, c’était peut-être ce que j’avais essayé de provoquer. J’étais lasse de me recroqueviller en moi-même à la seule mention de son nom. J’allais avoir bientôt 50 ans, il était plus que temps que je fasse front.

Je me remis du rouge à lèvre, me jetai un regard de défi et sortis de la salle des toilettes pour me rendre compte que je n’avais toujours pas décidé ce que j’allais raconter aux gens que j’allais rencontrer. Je n’eus pas le temps de poursuivre mes réflexions, car la salle s’ouvrait devant moi. Je pouvais apercevoir le cercueil ouvert au fond de la salle.

Je m’arrêtai sur le seuil un moment pour constater qu’il n’y avait qu’une dizaine de personnes dans la salle. Je saluai l’assemblée d’un signe de tête et me dirigeai vers le cercueil pour me recueillir. Je contemplai le corps sans vie, rigide. C’était un miracle qu’une chose aussi fragile que le corps humain soit en mesure de supporter les tourments de l’esprit et les passions du coeur. Privé de ces tourments et de ces passions, un corps devenait une chose étrange, encombrante et dégoûtante comme une rognure d’ongle.

Je me tournai vers les photos du docteur, me demandant ce que j’allais faire une fois ce rituel accompli. Je jetai un regard de biais dans la salle, repérant la table sur laquelle trônait une machine à café et une montagne de gobelets en styromousse qui tenaient compagnie à une assiette contenant de petits sandwichs.

J’allai me servir un café tout en évaluant la disposition des chaises pour trouver un endroit où m’asseoir. Je voulais trouver un siège qui serait pas trop près de quelqu’un afin de ne pas être obligée d’entamer la conversation ni trop loin afin de ne pas avoir l’air trop sauvage. Je choisis une chaise près d’un groupe de trois personnes déjà en grande conversation.

La salle se mit à se remplir et mon café devint froid. Le son des conversations s’amplifia. J’observais que chaque personne reproduisait le même comportement que le mien. Il arrivait sur le seuil de la porte, évaluait l’assemblée, saluait ses connaissances d’un signe et se dirigeait vers le cercueil pour se recueillir un moment avant de se diriger vers la table à café. Sauf le tout dernier arrivant, un homme, qui lui se dirigea immédiatement vers le café. Corpulent et trapu, sa panse avait quelque chose d’ostentatoire. Il semblait en être fier. Il n’était pas beau, avec ses cheveux clairsemés, son teint brouillé et sa grosse moustache constellé de poils gris, mais il dégageait un certain charisme si j’en croyais le nombre de femmes qui le détaillaient d’un air discret.

Il remarqua que je l’observais, aussi, il se dirigea vers moi. J’agrippai ma sacoche et me mit à fouiller à l’intérieur de manière frénétique pour lui signifier que je ne désirais pas entrer en conversation. Je suis pas sortable, me dis-je, découragée.

Il s’assit malgré cela deux sièges plus loin, sur ma gauche et se releva un moment pour regarder dans le cercueil. Puis il se retourna vers moi :

– Vous êtes de la famille? me demanda-t-il avec un sourire en coin.

– Non… Il a accouché mon fils.

Ambigu, mais vrai.

– Il a quel âge?

– 22 ans.

– 22 ans? Ça a dû être un accouchement difficile alors…

Je m’esclaffai, mais je m’abstins de le détromper.

– Et vous?

– Non, moi, je ne suis qu’un vautour.

Je fronçai les sourcils machinalement. Il tapota sa bedaine.

– Et je n’ai toujours pas accouché comme vous pouvez le voir! Moi aussi, il devrait avoir ça, une vingtaine d’année.

Je m’esclaffai-je et il me tendit la main.

– Robert Biron, journaliste.

– Catherine Meursault, enchantée. Pour quelle publication travaillez-vous?

– Je suis à mon compte, mais j’écris principalement pour Le Devoir.

Je suis abonnée depuis 2012…

Wow, bravo pour le commentaire éditorial, pensai-je immédiatement. Il but une gorgée de café et grimaça. Il promena un regard intéressé vers les personnes rassemblées de l’autre côté de la salle. Il sortit une tablette miniature et se mit à faire défiler les écrans d’un geste désinvolte. Je me sentais totalement inintéressante, mais je ne pus m’empêcher de poursuivre, car ma curiosité fut la plus forte.

– Vous êtes ici pour le travail, si je comprends bien? Pourquoi le Dr Pandele est-il digne de votre intérêt?

Il se leva et s’approcha, comblant les deux bancs qui nous séparaient.

– J’essayais de le rencontrer depuis plusieurs mois. Je fais un topo sur Albert Simpson, le chef de l’opposition au fédéral.

Mon coeur se mit à cogner dans ma poitrine.

– Il était le médecin personnel du village d’où venait la famille Simpson.

Ah!

– Jérusalem?

– Vous connaissez?

– J’ai rencontré Angela, sa fille, il y a longtemps. Son père ou sa mère, jamais.

– J’espérais qu’il pourrait me parler de lui.

Robert se crispa soudain, son regard avait été attiré par quelque chose, aussi je me retournai à mon tour. Comme personne ne le regardait, je me retournai vers le journaliste. Il s’était levé et répondait à un appel sur sa tablette.

– Biron!

– Un moment, s’il te plaît.

Il ramassa son manteau et son sac à dos en cuir. Puis il me salua.

– Désolé, je dois le prendre. Au plaisir.

Je lui offris un sourire.

– Au revoir.

Je le regardai trotter vers la sortie, sa tablette à la main. Un gamin de 300 livres. Un groupe d’une dizaine de personnes encore en tenues d’hôpital arriva et je décidai de partir moi aussi.


Catherine : 9 août 2031, 21h42, samedi

On s’est fait des dumplings crevettes et shitakee. Il m’a raconté sa soirée avec Rohmelle, mais à mon air distrait, il a rapidement compris que je n’étais pas tout à fait moi-même. Après le souper, je l’ai poussé au salon et je lui ai alors tendu mon journal avec ce petit mot :


Simon,
Il y a un sujet grave dont je dois discuter avec toi. Je voudrais tout d’abord que tu lises le journal que j’ai tenu en 2010. Dans ce journal, tu apprendras beaucoup d’autres choses à mon égard qui te surprendront certainement, mais elles te permettront de comprendre pourquoi j’ai attendu si longtemps avant d’avoir cette discussion avec toi. Je t’aime plus que tout au monde.
Ta maman

– T’es pas malade, j’espère? me demanda-t-il avec un début de panique dans la voix.

– Non.

– Ok, fiou.

Son visage reprit un air serein un instant, mais se crispa de nouveau.

– Il n’est rien arrivé non plus à Évangéline, Cecilia ou Schrödinger, n’est-ce pas?

– Non, rassure-toi.

Il examina alors mon journal intime plus en détail et l’ouvrit.


Simon referma mon journal, laissant son doigt comme marque-page. Il leva un regard désemparé et confus vers moi qui me noua la gorge.

– Comme je suis né en 2009 et qu’il n’est aucunement question de moi ou de ta grossesse, j’imagine que je dois comprendre que je ne suis pas ton fils biologique.

Des larmes se mirent à couler sur mes joues. Il baissa les yeux sur mon journal, mais le laissa fermé sur ses genoux.

– Tu avais presque deux ans quand tu es devenu mon fils, poursuivis-je. Un matin, je me suis fait réveiller par des cris de bébé. Je t’ai trouvé sur la table du salon dans ton siège d’auto avec ton certificat de naissance. On avait laissé le nom de la mère et ton nom de famille en blanc.

– Est-ce que tu sais qui sont mes parents?

Je m’essuyai les yeux du revers de la main et balbutiai :

– En ce qui concerne ta mère, j’en ai une bonne idée, mais je n’en suis pas certaine. Enfin, je n’en étais pas certaine jusqu’à tout récemment. Je crois que ta mère va tenter… a tenté d’entrer en contact avec toi. Je veux… te préparer.

Il me regarda, intrigué.

– Et mon père?

– Je n’en sais rien.

– Tu ne m’as pas kidnappé quand même…

Je pouffai d’un rire nerveux, mais je remarquai qu’il conservait son sérieux.

– Bien sûr que non, répondis-je sur un ton grave.

Il retourna à sa lecture, mais il referma immédiatement le journal, me faisant sursauter.

– Écoute, c’est difficile pour moi de lire si tu scrutes chacune de mes réactions. Et je vais avoir besoin de décanter tout ça. Ça te dérange si je vais au studio? Schrödinger est parti pour quelques jours, je vais l’avoir pour moi tout seul.

Je me levai, paniquée. Le pire était en train de se produire. Il remarqua mon état et me jeta un triste sourire.

Mom, je ne veux pas que tu t’en fasses. Que tu sois bio ou non, c’est toi et ce sera toujours toi ma mère.

Je me jetai dans ses bras.

– Je te fais confiance, dit-il en m’embrassant le front. Je suis convaincu que tu avais d’excellentes raisons de me cacher tout ça. J’ai juste besoin de…

– Je comprends, mais appelle-moi demain matin, ok?

– Ok.

Il monta chercher son sac à dos et m’embrassa à nouveau avant de déguerpir. Il avait à peine refermé la porte, que je me précipitais sur ma tablette pour appeler Cecilia et Évangéline. Seule Évangéline me répondit.

– Je l’ai fait! m’exclamai-je.

– Déjà?

– Oui, tu sais que ça me tracasse depuis longtemps.

– Comment est-ce qu’il l’a pris?

– Assez bien, je crois.

– Comment ça, tu crois? Où est-il à présent?

– J’ai pensé lui faire lire mon journal intime de cette année-là. Il est parti le lire au studio.

– Tu veux que j’aille m’assurer qu’il va bien?

– Non, ça va. Je crois qu’il a besoin d’être seul pour digérer la nouvelle.

– Tu es certaine que c’était la chose à faire?

Je réfléchis un moment et répondis résolument :

– Oui.

– J’espère que tu as raison.

– Moi aussi.

– En tout cas, je vais texter Cornélius.

– Merci.


Michel : 9 août 2031, 22h23, jeudi


Michel s’était stationné plus haut sur la rue. Il l’avait suivi jusque chez elle. Quatre heures plus tard, il y était toujours. Il pouvait espionner la porte d’entrée par le rétroviseur. Heureusement qu’il avait mangé au salon funéraire. Il commençait malgré tout à avoir faim. Il regarda son cellulaire. 22h23. En relevant les yeux, il vit la porte s’ouvrir et un jeune homme sortir. Il prit plusieurs photos avec son cellulaire. Le jeune homme gagna la rue transversale. Michel démarra la voiture.

– Jonas!

– Oui, monsieur, répondit l’assistant vocal.

– Envoyez les dernières photos à AS avec le message suivant : « Trouvé. Ressemble à son père comme deux gouttes d’eau. »


Pour la suite, c'est par ici : Chapitre 2 : 2010, partie 1

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