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Chapitre 1 : 2031, partie 6

Dernière mise à jour : 27 oct. 2022


Simon : 6 août 2031, 15h30, mercredi


Le cellulaire de Simon se mit bourdonner. Il l’avait mis sur vibration le temps de finir de passer la balayeuse. Il le sortit de sa poche. C’était Catherine. Il arrêta la balayeuse et fit taire David Bowie qui chantait Space Oddity dans ses oreilles.

– Salut mom!

– Salut mon chéri, où es-tu?

– Je suis au studio, je range un peu.

– On bouffe ensemble vendredi soir?

– Non, je ne peux pas, j’ai une date, désolé.

– Une date? Je la connais?

– Non, elle est dans mon cours de scénarisation.

– J’ai des chances de la rencontrer, celle-là?

– Je t’en donnerai des nouvelles après. Je ne sais pas encore si elle est du genre girl-friend material.

– On se fait une bouffe samedi alors?

– Ok. On se fait des dumpling?

– Bonne idée. Si tu ne rentres pas trop tard, passe m’embrasser. Je t’aime!

– Je t’aime aussi, mom.


Journal personnel de Catherine no 23 : 7 août 2031, 3h23, jeudi


J’aime le gym, la nuit. J’aime m’extraire de la noirceur presque totale de la rue et pénétrer dans ce lieu palpitant de lumière. À cette heure, le gym semble le seul endroit où il reste encore de la vie. Et où cette vie prend enfin un rythme plus humain. Tout est au ralenti et silencieux. Je me sens protégée des assauts incessants du quotidien comme si j’étais enveloppée dans du papier bulle psychique. Le nombre restreint de personnes rendent les rapports plus faciles. Je peux suer en paix sans avoir à me soucier de ce que j’ai l’air. J’ai tous les appareils pour moi toute seule. Aucune musique tonitruante ou sonnerie de téléphone ne vient me distraire de mes pensées, me rappeler à la banalité. Et ensuite, habituellement, j’arrive à dormir.

Ce que j’aime particulièrement avec le sport, c’est la persistance des résultats. Si tu fais suffisamment de redressements assis, de planches et d’enroulement vertébral, tu vas finir par te sculpter un six pack. Même moi qui aurai bientôt cinquante ans et malgré tout le bacon et le vin que j’engloutie, je suis parvenue au four pack. C’est une des seules sphères de l’existence où le résultat est garanti. Où il est à la mesure des efforts investis. C’est rassurant de savoir qu’il y a au moins une chose sur laquelle on peut compter.

Je suis rentrée chez moi en bâillant, et, pourtant, je ne suis pas encore parvenue à m’endormir. J’ai pris la décision de tout révéler à Simon, mais je ne peux m’empêcher de chercher des raisons de ne pas passer à l’action. J’ai terminé la lecture de mon premier journal personnel et si j’avais cru qu’elle allait galvaniser ma détermination, il en est tout autre. En effet, avec le recul toute cette histoire a pris une teinte de jeux d’adolescentes mal dans leurs peaux. Angela a-t-elle mérité tout cette hargne? Est-elle réellement la psychopathe machiavélique que nous avons appris à craindre?


Angela : 7 août 2031, 5h48, jeudi


Angela marchait sur Somerset en direction du local de son association lorsqu’elle entendit quelqu’un siffler derrière elle. Elle se retourna et reconnut Pete, l’agent de sécurité du Parlement, qui la rattrapa en quelques enjambées.

Good morning, Angela!

– Bonjour Pete! Tu vas bien?

– Oui, prête pour changer le monde?

– Eh oui, une prière à la fois, lui répondit-elle avec un grand sourire.

Au moment où Pete lui ouvrait la porte du duplex où se trouvait le local, Georges Cornwell, le CEO d’une entreprise de pièces d’automobiles, débarquait d’un taxi. Il leur fit un signe discret de la tête et grimpa avec eux jusqu’au deuxième où les attendaient déjà Verna Miller, une actrice de théâtre, Robert James, un chauffeur d’autobus à la retraite, et Maureen Connor, la cuisinière pathologique, qui portait une boîte de ses sempiternels beignes au sucre. Angéla salua tout le monde et déverrouilla la porte du grand 6 pièces qui se situait au deuxième étage d’un nettoyeur et d’un salon de beauté. Elle avait à peine fermé la porte que Miss White, la gouvernante de l’ambassadeur du Royaume Uni, débarquait à son tour.

Comme ils n’avaient qu’une petite demi-heure avant de retourner chacun à leurs activités quotidiennes, Angela avaient réparti les tâches : Maureen disposait ses beignets dans une assiette, Robert s’occupait de faire du café, Verna et Georges plaçaient les chaises en cercle et Miss White distribuait des serviettes de papier pendant qu’Angela allumaient des lampions.

La prière quotidienne débutait à 6 heures aussi arrivèrent bientôt les derniers retardataires : Charlie Coleman, un vétéran de la guerre en Irak, André Valleyrand, un député de l’opposition au parlement fédéral, et critique officiel en matière de science, Rona Maxwell, une secrétaire de direction dont les bureaux se situaient à deux rues du local de l’association, Theodore Duchovny et sa femme Elizabeth, les propriétaires du nettoyeur du rez-de-chaussée, ainsi que Erin Kelly, une ancienne prostituée qui avait trouvé Dieu et changé de vie grâce au soutien d’Angela.

Chaque matin, ils étaient douze. Ils se rassemblaient pour prier pendant une demi-heure. Ils récitaient la même prière depuis plus de 11 ans. Angela avait démarré ce groupe pour favoriser l’élection du parti de son père au parlement. Lorsqu’il avait été élu à l’opposition officielle, Angela avait décidé de continuer.

À six heures, son cellulaire fit entendre un son strident et tous prirent place sur une des chaises. Ils joignirent les mains et se recueillirent en silence un moment. Puis, Angela prit la parole.

– Merci, Seigneur Dieu, pour cette nouvelle journée.

– Amen.

– Ouvre notre coeur et rends-nous assez brave pour que nous puissions accomplir Ta volonté.

– Amen.

– Notre Père qui est aux cieux, que Ton nom soit sanctifié, que Ton règne arrive, que Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du Mal.

– Amen.

– Délivre aussi ceux qui nous gouvernent de tout Mal et accorde-leur de reconnaître Ta grandeur. Qu’ils puisent en Toi la force, la sagesse et le courage de faire ce qui est juste et d’accorder leur action sur Ton Verbe. Rappelle-leur qu’ils devront justifier leur décision lorsqu’ils se présenteront devant Toi à la fin de leur jours.

– Amen.

– Envoie-nous Ton fils, le Second Messie. Et précipite la venue de la fin du monde.

– Amen.

– À ton tour, Verna!

– Merci, Seigneur Dieu, pour cette nouvelle journée…


Catherine : 7 août 2031, 10h23, jeudi


Pourquoi ressentais-je de la culpabilité de ne pas être la mère de Simon? Il est vrai que je m’étais aussi sentie coupable de la mort de mes parents. Et pourtant, aucun de ces faits n’étaient de ma responsabilité…

Voilà à quoi je pensais pendant qu’un de mes étudiants de première année profitait de la tribune que je lui offrais afin de poser une question pour m’expliquer à quel point je me trompais à propos de la culpabilité, le sujet de recherche que j’étudiais depuis près de 20 ans. Je le regardais pérorer de manière pompeuse, bombant le torse, le nez en l’air. La jeune fille assise près de lui semblait le trouver follement intéressant. En général, il y avait au moins un personnage de ce genre par cohorte. Il avait lu un livre sur un sujet et était convaincu d’en savoir plus que ceux qui avaient passé leur vie son étude. Le résultat de l’effet Dunning-Kruger qui veut que quelqu’un de peu qualifié agit de manière sur-confiante et surestime ses connaissances. C’était normal, particulièrement à cet âge. Habituellement, je ne les laissais jamais parler aussi longtemps, mais aujourd’hui je me sentais lasse. J’étais fatiguée de me battre. Heureusement pour lui, il avait l’air d’avoir besoin d’avoir raison plus que moi. Et toutes mes pensées étaient dirigées vers mon fils. Comment allait-il accueillir la vérité?

Et puis je fus sauvée par un brusque sentiment de répulsion engendrée par un groupe de mot bien précis « l'ordre du signifiant de son désir ». Le petit merdeux citait Lacan. Je me tournai vers ma tablette et cherchai « culpabilité » sur Wikipédia où je trouvai l’argumentaire de l’étudiant presque mot pour mot.

– Que voulez-vous dire exactement par « l’ordre du signifiant de son désir », l’interrompis-je.

Le visage de l’étudiant prit une teinte écarlate et il se mit à bafouiller. De toute évidence, il ne s’attendait pas à ce qu’à mon tour je le questionne. Il voulait bien me laisser me débrouiller à déchiffrer son charabia, mais n’escomptait nullement que je lui demande des éclaircissements. Je lui laissai un moment pour rassembler ses pensées, mais il était visiblement dépassé.

– Quel dommage!

– Pardon? demanda-t-il.

Je fis apparaître le site Web sur les tablettes des étudiants qui se mirent à ricaner.

– Étant donné l’arrogance dont vous faisiez preuve, j’espérais que vous feriez au moins preuve d’originalité, mais je constate que vous vous contentez de peu dans la sélection de vos sources. Pour la semaine prochaine, j’aimerais que vous me rédigiez un résumé de 1 000 mots sur la signification de la culpabilité pour Lacan.

Le jeune homme se rassit. Voilà le seul privilège de l’âge. Pouvoir remettre quelqu’un à sa place sans trop d’effort.

– Où en étais-je déjà? demandai-je à la classe.

– Nous en étions à Jean Nabert, répondit une étudiante assise au premier rang. Vous disiez que, et elle se mit à lire ses notes : le propre de la vie morale était d’étendre le ressenti sur toute la conscience et que nous échouons invariablement à contenir le sentiment de la faute à l’action qui l’a engendré.

– Ah oui, c’est vrai.

Je regardai l’heure sur ma tablette.

– Ok, on a assez de temps pour terminer Nabert aujourd’hui. On pourra peut-être même commencer à étudier les penseurs catholiques. Comme je le disais…


Albert Simpson : 7 août 2031, 12h17, jeudi


Michel attendait patiemment au restaurant le Parlementaire en grignotant du pain qu’il avait exagérément tartiné de beurre. Sa femme contrôlait la quantité de gras qu’il ingurgitait à la maison, et le beurre était son point faible. Il en profitait toujours un peu quand il mangeait au restaurant. Et ensuite, il se sentait coupable. Mais comme il se confessait une fois par jour, ce sentiment désagréable ne le titillait jamais très longtemps.

Il repéra Albert Simpson qui venait de pénétrer dans la salle à manger et qui le cherchait des yeux. Michel lui fit signe de le rejoindre. Il avala rapidement la grosse bouchée qu’il venait d’enfourner tandis qu’Albert prenait place devant lui.

– Bonjour, Michel!

– Monsieur Simpson.

– Comment vas-tu mon ami?

– Je vais très bien, comment s’est passé votre rencontre avec… il baissa la voix, la GRC?

Albert Simpson lui tapota la main.

– Tu n’as pas à t’inquiéter, Michel, tout va bien. Je m’occupe de ça.

La serveuse interrompit leur conciliabule et leur servit un verre d’eau. Ils commandèrent leurs plats habituels. Michel jeta un regard discret autour de lui avant de poursuivre.

– J’ai débuté mon investigation. J’ai commencé par passer en revue les dossiers de tous les membres de Jérusalem.

– C’est impossible que ce soit l’un d’entre nous, on l’aurait su, on vivait encore tous à Jérusalem à cette époque.

– Je sais, mais elle aurait pu bénéficier de la complicité d’une de ses amies.

– Et alors?

– Jusqu’à présent, rien. J’ai aussi retrouvé tous les membres de l’Église qu’elle avait fondée à son arrivée à Montréal. Rien de concluant de ce côté là non plus.

– Et les agences d’adoption?

– Je les ai toutes appelées prétextant que j’étais un détective privé qui recherchait les traces d’un enfant qui avait été kidnappé, mais à moins d’avoir un contact à l’interne il est impossible de leur soutirer des informations. Il m’a fallu faire jouer nos relations. J’ai quand même pu obtenir quelques pistes, mais aucune ne s’est confirmée. Je voulais obtenir votre aide pour trouver un contact pour les deux qui refusent de me répondre.

– Tu me donnes les noms et je m’en occupe. Mais il est impératif de rester discret.

Michel hocha la tête et glissa une petite note manuscrite vers Albert qui la glissa dans la poche de son veston. La serveuse arriva avec la bouteille de vin rouge. Elle déposa un verre devant monsieur Simpson et le remplit au delà de la petite ligne servant de repère pour les quantités. Elle le gratifia d’un clin d’oeil. Albert Simpson avait le pourboire généreux et les serveurs le savaient. Ils étaient toujours aux petits soins avec lui.

– Merci Sonia.

– Avec plaisir, monsieur Simpson.

Ils levèrent chacun leurs verres et trinquèrent.

– Continue Michel.

– J’ai aussi fait le tour des Églises. Aucun bébé ne leur a été confié dans les semaines qui ont suivi la date de l’accouchement.

– Elle a pu attendre plus longtemps. Elle n’est revenue à Jérusalem que deux ans plus tard.

– C’est vrai, monsieur Simpson. Je vais les recontacter. Toutefois, comme elle a demandé de laisser le nom de la mère en blanc sur le certificat de naissance, j’ai l’impression qu’elle savait déjà à qui elle allait le donner.

– C’est bien possible, mais à qui?

– Je vais poursuivre mes recherches. Je compte aller aux funérailles du Dr Pandele demain. J’espère y trouver d’autres pistes.

La serveuse arriva avec leur entrée : un pâté de lapin en croûte avec une sauce au gorgonzola pour Michel et une tranche de foie gras au torchon avec sa confiture de figue pour monsieur Simpson. Celui-ci repoussa son assiette et baissa la tête, tout de suite imité par Michel.

– Seigneur tout puissant, bénis le repas que nous allons prendre.

– Amen.


Pour la suite, c'est par ici : Chapitre 1 : 2031, partie 7

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