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Chapitre 1 : 2031, partie 2


Simon : 4 août 2031, 11h55, lundi


– Fiction ou documentaire, un film raconte une histoire. Et il raconte toujours la même. La plus vieille de toutes les histoires. Celle de la guerre entre le bien et le mal. Entre la lumière et les ténèbres. Comme Gerald Messadié l’a écrit : « L’illusion de la modernité est puissante. » On a beau être en 2031, les gens pensent encore comme leurs ancêtres de la préhistoire : de façon manichéenne. Bien et mal, vérité et mensonge, beau et laid, sensibilité et raison, forme et contenu… ombre et lumière, conclut théâtralement le professeur Renoir en diminuant l’intensité de l’éclairage dans la salle de cours.

Grâce à la télécommande, il projeta l’affiche originale du film Blair Witch Project sur l’écran des tablettes des étudiants.

– Rappelez-vous ce je vous disais lors du premier cours de la session : l’éclairage sert à créer un climat visuel. L’utilisation de l’ombre et de la lumière vous permet de suggérer la tonalité des actions et de situer les personnages sur l’axe du bien et du mal en s’adressant directement à l’inconscient du spectateur. C’est pourquoi il devient possible de créer des effets d’étrangeté en brouillant les pistes. Comme dans cette affiche, par exemple. Vous pouvez remarquer que l’éclairage provient du bas du visage. De surcroît, les contrastes sont violemment marqués. Nous ne sommes jamais éclairé de cette manière dans la vie quotidienne ou dans la nature. Cet éclairage anormal provoque un sentiment de méfiance et de peur qui représente parfaitement la tonalité du film. Personne n’a besoin de lire le résumé pour comprendre qu’il s’agit d’un film d’horreur.

Des mains s’agitèrent, mais le professeur consulta sa montre et décida de les ignorer. L’affiche du film fut remplacé par l’acteur Bill Pullman qui s’enfilait plusieurs shooters dans une soirée. Simon sourit en reconnaissant l’extrait du film présenté. Son ami Mathieu, assis à sa droite, le poussa du coude.

– Regardons maintenant ce court extrait de Lost Highway, de David Lynch.

Mystery Man surgit en haut de l’escalier et se dirige vers Fred Madison, le personnage joué par Pullman. Tout le son ambiant semble aspiré à son approche. Le silence surnaturel, ajouté à l’absence de sourcils du personnage, crée un climat oppressant. Mystery Man accoste Madison avec un sourire inquiétant et affirme qu’ils se connaissent, qu’il l’a rencontré chez lui. Madison réplique qu’il n’en a aucun souvenir. Mystery Man ajoute qu’il est d’ailleurs chez Madison en ce moment même. Il lui tend son cellulaire et lui recommande d’appeler chez lui pour vérifier. Madison, ébranlé, compose son numéro de téléphone, et il entend la voix de Mystery Man qui lui répond. La scène se termine sur un duo de rires diaboliques provenant de Mystery Man et de son double au téléphone. Une des scènes les plus terrifiantes du cinéma, pensa Simon lorsque son professeur ralluma la lumière. Néanmoins, il était un de ses films préférés. Et un sujet de débat sans fin entre Schrödinger et lui.

– Qu’avez-vous remarqué de l’éclairage? demanda le professeur.

Simon fut le seul à se manifester. Le professeur lui céda la parole.

– Les deux acteurs ne sont pas éclairés du même côté.

Le professeur lui fit signe qu’il était impressionné de sa réponse. Pendant que les autres étudiants se repassaient l’extrait sur leur tablette, son ami Jonathan lui mima avec ses doigts un chien qui reniflait l’arrière train d’un autre chien. Simon pouffa de rire et lui texta : « Moi aussi, j’t’aime. »

Des coups à la porte se firent entendre et trois mines réjouies apparurent à la fenêtre, signifiant que le cours était terminé.

– On va poursuivre la semaine prochaine sur la thématique du combat entre le bien et le mal. Je voudrais que vous écoutiez le film Faust de Murnau pour le prochain cours. J’ai mis le lien sur le réseau. Je vous rappelle que vous devez aussi me remettre votre projet d’éclairage des scènes 1 à 4 la semaine prochaine. Je voudrais également que vous lisiez le document que j’ai téléversé sur le réseau à propos de l’utilisation du tungstène au cinéma. On va faire des tests d’éclairage au tungstène au prochain cours.

Les étudiants commencèrent à protester devant l’accumulation des travaux.

– Bon, bon, s’impatienta le professeur Renoir. Passez une bonne semaine. Maintenant, déguerpissez!

Simon s’assura d’avoir sauvegardé les dernières données de son laboratoire et rangea sa tablette dans une pochette prévue à cet effet dans son sac.

– On va dîner au pub ou à la cantine? demanda Mathieu.

– Au pub, parce que la cantine a été réservée par le club de jeux de rôle, expliqua Jonathan en remettant sa casquette.

La porte du local A-26 s’ouvrit et les étudiants du cours suivant se précipitèrent à l’intérieur pour tenter d’obtenir les meilleures places. Simon sortit du laboratoire d’éclairage suivi de ses deux amis

– Comment trouves-tu le prof? demanda Simon à Mathieu en descendant le large escalier de béton les menant à l’agora de l’université.

– Très solide. Mais la session vient juste de commencer, on va voir. En tout cas, tu te l’es mis dans la poche celui-là. Deuxième cours, d’habitude t’attend au troisième avant de lancer ton opération séduction, mais là…

– Qu’est-ce que tu veux, je suis charmant et charismatique. Et je suis beau bonhomme en plus. C’est difficile à cacher, blagua Simon.

– Faudrait juste qu’il arrive dans le 21e siècle par contre, bougonna Jonathan, l’éclairage au tungstène, franchement…

– Tu sais, la roue, elle a été inventée il y a longtemps et on l’utilise encore, répliqua Simon avec un sourire en coin.

– Et tu sembles aussi beaucoup te servir de la cuillère, renchérit Mathieu en pinçant un des bourrelets du jeune homme d’un air malicieux.

Simon et Mathieu s’esclaffèrent devant la mine atterrée de leur ami.

– Ouais, ouais, ouais, vous avez l’air d’aimer beaucoup ça vous foutre de ma gueule! grogna-t-il.

– On se fout de ta gueule depuis le CPE, come on! s’exclama Simon.

Mathieu se mit à bâiller et Jonathan lui enfonça son index dans la bouche.

– T’es con, mec! éructa Mathieu après avoir recraché le doigt de son copain.

– C’est à toi de mettre ta main devant ta bouche quand tu bâilles, c’est pas poli, dit Jonathan.

– Depuis quand tu donnes des cours de bonnes manières? demanda Mathieu en poussant son ami dans le mur du corridor.

– Heille, fait attention à ma caméra, face d’anus! cria Jonathan d’un ton où la moquerie avait fait place à l’agressivité.

– C’est bon, les gars, s’interposa Simon, on est à l’université, maintenant!

Ce fut toutefois, la vue de la jolie nouvelle étudiante de première année qu’ils avaient tous les trois remarquée au cours de scénarisation, et qui était sagement assise devant une bière à demi entamée, qui les calma. Les trois jeunes hommes s’approchèrent nonchalamment de l’endroit où elle était assise, et prirent place à la table la plus près. Elle adressa un sourire à Simon. Il s’apprêtait à se lever pour engager la conversation avec elle quand un homme d’un certain âge habillé de façon clownesque les aborda.

– Je vous ai senti depuis la bibliothèque, dit-il en regardant Simon avec intensité. Vous m’avez appelé à vous.

Un silence pesant s’installa. Les trois amis crurent avoir mal entendus.

– Je suis médium, j’ai senti votre présence, ajouta-t-il avec des gestes larges. Et quelle présence. Si vous voyiez votre aura, c’est extraordinaire, poursuivit-il tout en examinant attentivement quelque chose qui semblait flotter autour de Simon. Je n’ai jamais rien vu de tel.

Simon, Mathieu et Jonathan éclatèrent de rire. L’homme garda un visage impassible, totalement absorbé par ce qu’il contemplait.

– Je crois que tu t’es perdu. Le club de jeux de rôle, c’est à la cafétéria, indiqua Jonathan d’un ton mi-sérieux, mi-moqueur.

L’homme ne quitta même pas Simon des yeux. Il semblait complètement hypnotisé.

– C’est très impressionnant. Je voudrais lire votre avenir dans les lignes de votre main, proposa-t-il à Simon. Gratuitement, bien entendu!

– Vous êtes gentil, mais non merci, répondit poliment Simon se demandant si cet homme était un charlatan lui-même ou juste une de ses pauvres victimes.

– On me dit que vous êtes quelqu’un de spécial. Que vous êtes promis à un grand avenir, insista-t-il.

Simon réfléchit un moment en regardant la jeune fille de la table voisine. Celle-ci avait suivi l’échange et paraissait intriguée, il décida donc de jouer le jeu.

– C’est d’accord, mais vous nous laissez vous filmer, proposa-t-il en faisant un clin d’œil à ses deux amis.

L’homme sembla décontenancé un instant, mais acquiesça. Au cours de sa jeune carrière de réalisateur Web, Simon avait constaté que peu de gens refusaient l’opportunité de laisser leur trace sur Internet. La possibilité d’une gloire rapide et facile semblait représenter une tentation insoutenable.

Simon fit un signe à l’homme qui prit un siège à leur table. Mathieu et Jonathan s’emparèrent de leurs caméras, déplièrent leurs trépieds et disposèrent un éclairage minimal qui impressionna le chiromancien.

À la vue des caméras, une troupe s’agglutina rapidement autour de leur groupe. À l’invitation de Simon, la jeune femme s’improvisa relationniste et raconta le contexte de l’expérience en cours à l’assistance. Simon réclama le silence et fit face à la caméra.

– Nous sommes au pub de l’UQÀM le 4 août 2031. Cet homme prétend pouvoir lire mon avenir dans les lignes de ma main. Nous verrons s’il en est réellement capable. Quel est votre nom Monsieur?

– Heu, je m’appelle Magister.

– Depuis quand êtes-vous chiromancien?

– Depuis l’adolescence quand mes différents dons se sont manifestés.

– Ah, car vous avez d’autres dons? demanda-t-il surpris.

– Oui, je suis aussi médium.

– Vous parlez aux morts, c’est ça?

– Et aux anges.

– Eh bien… Il jeta un visage amusé à la caméra. D’accord, je vous laisse me lire les lignes de la main. Pour le bénéfice du spectateur, sachez que cet homme vient de m'aborder, mais que je ne l'ai jamais rencontré auparavant. Pouvez-vous me le confirmer, Magister?

– C’est tout à fait vrai et véridique, clama-t-il à la caméra.

Simon tendit sa main gauche au chiromancien qui l’examina avec la plus grande attention.

– C’est bien ce que je pensais, fit-il.

– C’est à dire?

– Laissez-moi poursuivre mon examen un moment…

Pendant que le chiromancien détaillait la paume de Simon, celui-ci sourit pour la caméra. Soudain l’homme sursauta.

– Oui, les signes concordent. Vous êtes le Nouveau Berger! Le sauveur de l’humanité. Le Second Messie!

Simon retira sa main et jeta un regard dubitatif aux spectateurs qui se mirent à ricaner silencieusement.

Come on! T’exagères. Si tu m’avais dit que j’allais devenir riche, ça aurait au moins eu l’air crédible, mais « le sauveur de l’humanité »? Tu penses quand même pas que je vais avaler ça!

– C’est vrai! protesta-t-il en reprenant la main de Simon. Ici, il y a la croix.

– C’est une entaille que je me suis faite avec un exacto en sixième année, répliqua Simon.

Le chiromancien prit sa main droite.

– Vous n’êtes pas encore prêt à entendre la révélation de votre destin… répondit-il distraitement d’un air grave. Je lis ici que vous étudiez en cinéma…

La foule se mit à huer le chiromancien qui continua, imperturbable.

– Vous êtes fortement influencés par des personnes plus âgées que vous. Des amis de votre mère.

Simon resta de marbre, mais cette information le troubla, les amis de sa mère avaient en effet une grande importance dans sa vie.

– Celle-ci est à la tête d’une importante organisation caritative. C’est cette organisation qui va vous permettra d’accomplir votre destin…

– C’est n’importe quoi, l’interrompit Simon, ma mère n’est pas à la tête d’une importante organisation caritative, elle est professeure, ici même, en philosophie.

Il retira sa main et la plongea dans sa poche. Il se pencha vers le chiromancien et le regarda avec un air de défi.

– Tu veux vraiment savoir ce que c’est que de prédire l’avenir? Je vais te le montrer.

Et il sortit un jeu de carte neuf de sa poche qu’il présenta à la caméra. Il le fit déballer de son enveloppe de plastique par l’homme, médusé, qui venait de perdre le contrôle de son destin à lui. Simon le fit ensuite brasser. Pendant ce temps, il prit un cahier dans son sac qui reposait entre ses deux pieds sous la table, déchira un bout de papier sur lequel il rédigea deux mots et le plia en quatre. Il montra le bout de papier à tous et le remit ensuite à un des spectateurs de l’assistance.

– Maintenant, Magister, tu vas choisir une carte.

Magister prit son air le plus inspiré et retira une carte du paquet qu’il reluqua en douce.

– Je vais me retirer quelques instants afin que tu puisse la montrer à tout le monde.

Pendant que Mathieu et Jonathan suivaient le chiromancien qui montrait la carte à la foule de plus en plus bruyante, Simon agrippait la « relationniste » et l’entraînait à l’écart un moment pour lui demander son nom et son numéro de portable si elle voulait bien consentir à lui offrir. II entra le numéro de Rohmelle dans ses contacts et reprit le contrôle de son plateau.

– Maintenant Magister, tu vas remettre la carte dans le paquet et brasser.

Le chiromancien s’exécuta et remit le paquet à Simon qui examina les cartes les unes après les autres. Il arriva à la fin du paquet et sembla pris de panique. Les gens se mirent à murmurer pendant qu’il repassait minutieusement chacune des cartes. Parvenu à la fin, il parut perplexe un moment et le souffle de la foule se suspendit. Il déposa le paquet de carte sur la table et affirma :

– La carte que vous avez choisie n’est pas dans ce paquet. Je peux néanmoins vous affirmer qu’il s’agissait du 2 de pique. Est-ce exact?

Le chiromancien sourit et sembla reprendre confiance en lui.

– On ne le saura jamais, j’imagine, répondit-il.

Un sourire illumina le visage de Simon. Un cri de ravissement s’échappa de la foule qui venait de comprendre que l’air paniqué de Simon n’avait été qu’une mise en scène.

– Au contraire. Il suffit de regarder dans votre sac. Voulez-vous vérifier? La carte se trouve dans le livre Histoire des sciences occultes. À la page 666, bien sûr.

La foule se mit à applaudir. Magister, ébahi, trouva effectivement le 2 de pique dans son livre. Puis, Simon se dirigea vers la personne à qui il avait remis le bout de papier et lui demanda de le déplier. Il le présenta à l’assistance qui put constater qu’il avait bien inscrit le nom de la carte choisie par le chiromancien. Simon fit une révérence devant la caméra et devant la foule. Puis Jonathan cria « Coupé » et Magister s’empressa de raconter le destin grandiose qu’il avait prédit à Simon à l’assemblée. Simon et ses amis en profitèrent pour s’esquiver.


Journal personnel de Catherine no 23 : 4 août 2031, 16h30, lundi


C’est elle! C’est elle, je suis convaincue que c’est elle. Simon vient de revenir de l’université et il m’a raconté comment, ce midi, un homme a tenu à lui lire les lignes de la main et lui a prédit qu’il était « le Nouveau Berger, le sauveur de l’humanité, le Second Messie ». Angela avait fait le coup du chiromancien en 2010 pour aider Évangéline avec son expo. Et ce sont les termes qu’elle a employé lors de notre dernière rencontre il y a 21 ans. Elle est de retour. Que vais-je faire?


Angela : 1999


À genou sur la moquette, le corps appuyé contre son lit, la fillette appuya ses coudes sur le matelas, noua ses mains ensemble et posa son front sur elles. Elle récita le Notre-Père d’un ton enflammé.

– Je remercie le Seigneur pour notre famille, notre maison, poursuivit sa mère agenouillée pour la prière avec elle.

– Je remercie le Seigneur pour notre famille, notre maison, répéta la jeune fille avec sérieux.

– Je remercie le Seigneur pour la Communauté de Jérusalem.

– Je remercie le Seigneur pour la Communauté de Jérusalem.

– Je remercie Dieu pour mon papa, ma maman et grand-papa Ellis.

– Je remercie Dieu pour mon papa, ma maman et grand-papa Ellis.

– Amen.

– Amen.

– Allez, au dodo, Angela, ordonna la maman en se relevant.

Angela grimpa dans le lit en riant. Elle aurait voulu que sa mère se couche avec elle, juste un peu, mais sa journée n’était pas encore terminée, aussi, celle-ci lui fit la bise et la borda.

Sa mère quitta la pièce en fermant la lampe en forme de Sainte-Vierge. Angela l’entendit descendre l’escalier et se diriger vers la cuisine où elle irait faire la vaisselle. Elle entendait aussi les hommes en plein palabre dans le salon. La discussion semblait animée. Elle repoussa les couvertures et s’assit dans son lit tout en restant attentive aux bruits de la maison.

Silence à l’étage.

Sacha, Martha et Rachel aidaient sa mère à la cuisine, néanmoins, elles en auraient pour un certain temps à ramasser les vestiges du souper, lui laissant ainsi le champs libre pour un moment encore. Elle descendit de son lit aux aguets et ouvrit son coffre à jouet pour en sortir ses peluches qu'elle glissa sous ses couvertures pour leur faire prendre forme d’une petite fille endormie. Puis, elle alla à la porte et l’entrouvrit. Elle glissa son nez dans l’ouverture. La voie était libre.

Elle descendit l’escalier d’un pas leste et se dirigea vers la salle de jeu. Après avoir refermé la porte derrière elle, Angela gagna une demi porte qui donnait dans l’armoire du salon. Sa mère lui avait raconté que lorsque ses grands-parents s’étaient installés à Jérusalem, ils avaient construit cette maison qui n'était alors constituée d’une seule pièce et d’un poulailler adjacent. Cette petite porte permettait alors d’accéder au poulailler sans passer par l’extérieur. Au fil des ans, la maison s’était agrandie et maintenant le poulailler ainsi que l’étable avaient été placés en retrait. Angela ouvrit la demi porte et s’agenouilla pour y pénétrer. Elle s’installa sur les chaussures de son père et entrebâilla la porte de l’armoire. Son oncle Robert Jr. parlait des plans de construction d’une nouvelle étable plus grande pour accueillir les vaches, les moutons et les agneaux nécessaires pour alimenter les nouveaux arrivants. En effet, trois nouvelles familles viendraient s’installer à l’automne. La construction des maisons débuterait à la fin du mois prochain lors d’une série de corvées qui réuniraient tout le village.

– Qu’est-ce qu’il y a papa? demanda Robert Jr. en entendant son père marmonner.

– Je ne suis toujours pas certain qu’il s’agit de gens très convenable, rumina-t-il.

Albert leva les yeux au ciel.

– Papa, on a déjà eu cette discussion et on a voté, renchérit William, son fils cadet. Plus de familles, c’est moins de travail pour tout le monde.

– Et toute cette agitation, pour rien, poursuivit-il comme s'il n'avait rien entendu. Les signes s’accumulent. La fin du monde approche à grand pas. Ça ne sert à rien de… construire des étables. On va tous bientôt être enlevés pour aller à la rencontre de Notre Seigneur, asséna le vieillard, buté.

– Monsieur Ellis, répondit Albert, ce n'est peut-être pas pour bientôt. Mais nous sommes pieu, commença-t-il d'un ton conciliant, nous...

– Balivernes! Interrompit Ellis. Matthieu et L'Apocalyse sont très clairs à ce sujet. La Bible est la parole de Dieu…

– « De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos porte. En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. » Selon Matthieu, le retour du Messie devait avoir lieu avant la fin du premier siècle…

– Il parle en terme de dispensations et non en terme d'années. Il ne faut pas être si littéral, répliqua le vieil homme d’un ton cinglant.

Oh, oh, se dit Angela. Le tonnerre grondait.

– C’est drôle, répondit son père sur le même ton, cet après-midi c’est vous qui teniez à rester littéral quand à mon interprétation du verset 8 du chapitre 72 des Psaumes.

Son grand-père se mit à rire.

– C’est complètement ridicule. Croire que le Messie va revenir au Canada parce qu'un des versets ressemble à la devise officielle. « Qu'il domine d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'au bout de la terre. »

– Billy Graham, que vous chérissez tant, appelait bien le Canada « une superpuissance spirituelle », il est clair que le Canada a un rôle important à jouer dans la théologie de la fin du Mon…

– C’est bon, coupa son oncle! Qui va reprendre du café?

C’était peine perdu, se dit Angela. Ils savaient tous ce qui allait suivre…

– En 1919, lors de la réunion de la World’s Christian Fundamentals Association à Philadelphie…

Et voilà!

– … j’ai eu l’occasion de discuter avec William Bell Riley, l’organisateur, et nous avons posé plusieurs points de doctrine. Jamais, il ne fut question que le Christ, notre Messie, reviendrait au Canada.

– Peut-être qu’il y a une autre façon d’interpréter la Bible aussi.

Le patriarche se remit à rire, méprisant.

– Et ce serait à toi, mon gendre, de nous faire voir la Vérité? Alors, dans ce cas, que le Seigneur nous fasse un signe.

Ils furent sauvés par sa mère qui apportait le dessert. Angela en profita pour retourner se coucher pendant qu’elle servait le gâteau.

Angela remit ses peluches dans son coffre à jouet, grimpa sur son lit et s'enfouie sous les couvertures.

– Seigneur, murmura-t-elle, faites que la paix revienne à Jérusalem. J'hais ça, la chicane.


Pour lire la suite, c'est par ici : Chapitre 1 : 2031, partie 3



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