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Angela : 5 août 2031, 10h22, mardi


Angela montra son badge à l’agent de sécurité du Parlement. Elle le salua par son prénom en lui offrant un grand sourire. Elle savait qui il était, connaissait sa situation maritale, le nom de ses enfants, ses vices et ses petites perversités. Il faisait partie de son groupe de prière du jeudi et elle le confessait tous les dimanches depuis bientôt sept ans.

Elle monta le grand escalier qui menait au bureau de son père en répétant ce qu’elle allait lui dire. Elle devait se montrer prudente. Elle devait obtenir son assistance sans qu’il ne soupçonne son but réel. Elle s’était minutieusement préparée. Avait eu cette discussion en pensée des centaines, des milliers de fois déjà. Elle était prête. Elle mûrissait son plan en silence depuis longtemps. La mort du Dr Pandele venait de lui permettre de le mettre enfin à exécution. C’était le signe qu’elle attendait. Le monde était enfin prêt pour la venue du Messie. Mais avant de convaincre le monde, elle devait d'abord le convaincre lui-même. Immédiatement après avoir appris la mort du docteur, elle lui avait envoyé le chiromancien. Elle voulait maintenant passer à la prochaine étape. Mais pour cela, elle avait besoin de son père. Elle était prête pour un nouveau miracle. Prête pour prendre Montréal.


Simon : 5 août 2031, 10h55, mardi


Simon rangea sa tablette. Il ramassa ses affaires et se dirigea vers le studio. Il contourna l’immeuble pour entrer par la porte arrière. Il alla porter les sacs à la cuisine du studio. Il se dirigea ensuite vers l’appartement d’Évangéline situé au troisième étage pour cacher les repas restants ainsi que ses effets personnels. Sur le guéridon du vestibule l’attendait la perruque, la moustache et la prothèse buccale qu’il devait revêtir pour l’occasion. Il s’approcha du miroir pour installer minutieusement les trois accessoires et s’assura qu’ils tenaient tous bien en place. Puis, il fit quelques bonds sur place et étira ses bras vers le plafond, se plia en deux et se releva en projetant ses mains vers le plafond. C’était un rituel que Schrödinger lui avait enseigné et qui lui permettait de se concentrer. Il l’exécutait avant chaque prestation.

Il gagna le deuxième étage du studio. Il gagna la chambre de Schrödinger et poussa le lit contre le mur ce qui eut pour effet de réveiller Erwin et Erwin, les chats jumeaux de Schrödinger qui crachèrent en choeur dans sa direction. Il souleva le tapis et révéla une trappe ronde pourvue d’un anneau sur lequel il tira. L’ouverture donnait accès à un étroit cagibi recouvert de planches de bois vernies. Il appuya sur l’une d’elles et une échelle escamotable apparut. Il s’enfonça dans la cavité, referma la trappe derrière lui et descendit jusqu’au palier au rez-de-chaussée. Il se repéra dans le noir complet et trouva le mécanisme pour faire disparaître l’échelle et ouvrir la trappe qui se trouvait à ses pieds. Il lui fallait attendre de mettre la projection en marche avant de se glisser sous le plancher.

Simon se trouvait dans l’un des quatre piliers de béton qui soutenait le plafond du loft. Il entendit Schrödinger qui venait de pénétrer dans l’atelier suivi d’Évangéline et des cinq Japonais auxquels il faisait faire la visite du studio après la présentation du projet. Il l’avait tant écouté répéter son allocution qu’il le savait lui-même par cœur. Il l’imaginait s’avançant vers lui, vêtu de son long manteau de velours pourpre de style victorien jeté par dessus son complet noir composé d’un gilet sans manche et d’un pantalon. Il arrivait au clou du spectacle.

– L'être humain reste un être avide de mystères qui désespère de croire en quelque chose de plus grand que lui. De croire que la vie a un sens. Historiquement, nous avons connu deux producteurs de sens : l'art et la religion. Pour l'art et la religion, la beauté et la vérité sont les mystères ultimes de l'être. Et ces mystères se révèlent par la production de miracles. Mais qu'est-ce qu'un miracle? Pour la religion, c'est l'irruption du divin dans le réel. Mais pour l'art, c'est une manifestation poétique du réel.

De toutes les formes d'art, la magie est la discipline où la définition d'un miracle est le plus proche de celle de la religion. C’est Hérodote, le premier, qui nous a donné la signification du mot « magie ». Il s’agissait alors du nom d’une des six tribus perses, les Magoi, les Mages, qui auraient possédés des pouvoirs spirituels. Que l’on croit ou non, à l’existence véritable de ces pouvoirs, le magicien fait malgré tout appel à des mécanismes invisibles pour réaliser un prodige, un miracle qui échappe aux lois de la nature. Les prêtres respectent d’ailleurs à peu près les mêmes codes que les magiciens. La seule différence c’est qu’ils croient aux tours qu’ils mettent en scène.

Les cinq japonais ricanèrent.

– Prenons l’exemple de Jésus. Il s’agit d’un homme ordinaire qui a accompli des choses extraordinaires. Malgré cela, parlerions-nous encore de lui s’il n’était pas réapparu après sa mort? J’en doute. C’est la même chose en magie. Faire disparaître quelque chose ou encore mieux quelqu’un constitue souvent l’apothéose, le clou du spectacle. Mais ce n’est pas suffisant. Encore faut-il pouvoir le faire réapparaître…

– Quel est votre truc à vous Monsieur Schrödinger? Possédez-vous des pouvoirs magiques ou prétendez-vous plutôt être le Fils de Dieu? demanda Yo Ma, une des commissaires du Musée d'art post-moderne de Tokyo.

Un sourire se dessina sur les lèvres de Simon coincé dans son cagibi. Schrödinger avait prévu qu'un des participants poserait une question de ce genre et qui confirmerait qu'ils étaient tous envoûtés par sa prestation. Avec un public restreint, c'était toujours plus facile de diriger l’attention des spectateurs. Ils étaient prêts pour la suite.

– Je ne suis qu'un scientifique qui a la prétention de se prendre aussi pour un artiste. Je suis un néoalchimiste. Un illusionniste. Ma religion, c'est l'Art.

Un, deux, trois, compta Simon.

On entendit la sonnerie de la porte.

Schrödinger s’approcha de la fenêtre, suivi par les Japonais qui purent contempler la voiture d’Évangéline déguisée en véhicule de livraison pour l’occasion et le surnuméraire qui patientait à la porte avec son sac, semblant attendre qu'on vienne lui ouvrir.

– C’est le traiteur, vous m’obligeriez en allant lui ouvrir ma chère, dit-il en s’adressant à Évangéline.

Celle-ci disparût dans le couloir. De son côté, Simon attendait le signal pour déclencher la projection. Schrödinger se retourna vers le groupe de Japonais.

– Eh bien, messieurs et madame, dit-il en les entraînant loin des fenêtres, comme vous vous y attendez probablement, poursuivit-il, le tour que j’ai préparé va consister à faire disparaître l’un d’entre vous.

Il les dévisagea tous l'un après l'autre. Les cinq Japonais se mirent à discuter entre eux dans leur langue. Depuis, leur arrivée ce matin, Schrödinger avait multiplié les commentaires afin d’insinuer des doutes dans leur esprit quant à l’implication de l’un d’entre eux dans le tour qu’il allait leur présenter. Ils étaient tous maintenant convaincu qu’un de leurs collègues était de mèche avec le magicien.

Évangéline revint dans le studio et prononça la phrase qui servait de signal :

– Oh, la la! Ça sent bon…

Simon appuya alors sur le bouton « play » et il apparut derrière Évangéline portant le sac du traiteur. C’était le signal qu’attendait Schrödinger pour continuer.

– Je vous laisse choisir qui me servira de cobaye, ajouta-t-il.

Les Japonais tendirent unanimement le doigt vers Simon.

Schrödinger se tourna vers le double de Simon qui poussa un cri d'exclamation.

– Wow, monsieur Schrödinger ! Je suis un grand fan.

– Aimeriez-vous participer à l'un de mes tours, jeune homme?

– Avec grand plaisir.

Schrödinger se dirigea vers lui et fit jaillir le sac qu'il tenait caché dans sa manche. Le sac de la version vidéo disparut, et il sembla aux spectateurs qu’il venait de s’en emparer.

Il se tourna vers le groupe de visiteurs asiatiques. Sans un mot, il ouvrit le sac, examina son contenu, et eut un mouvement de surprise.

– Quelqu'un s'est commandé un oeuf?

Il plongea la main dans le sac, et en sortit un oeuf de couleur argent, de la taille d'un ballon de soccer. Les spectateurs étaient subjugués. Ils retenaient tous leur souffle, attendant la suite. Pendant ce temps, Simon version réelle, se faufilait à quatre pattes sous le plancher du studio.

Schrödinger souleva l'oeuf devant ses yeux. Évangéline s'approcha de lui et prit le sac vide de la main du magicien.

– Monsieur Tanaka, c'est un oeuf de quoi, selon vous?

– Un oeuf de dragon, bien sûr, ricana-t-il.

– Très bien.

Schrödinger fit un geste de la main au dessus de l'oeuf, qui se mit à palpiter comme un coeur de métal en fusion. Il se tourna vers Simon.

– Je crois que de séjourner avec le dîner lui a donné faim.

Simon prit un air interrogatif.

– Pardon?

Schrödinger lança l'oeuf dans les airs qui resta en suspens devant les yeux ébahis des spectateurs. Soudain, l'oeuf explosa projetant des volutes de fumée rouge qui se dispersèrent lentement dans l’air pour prendre une forme ailée, qui gagna graduellement en consistance, révélant un dragon de la taille d'un éléphant. Il vola un instant sur place, poussant des trombes d'air sur les visiteurs ébahis qui hésitaient à s'enfuir. Le dragon se posa pesamment sur le sol, faisant vaciller tout ce qui se trouvait à quelques mètres de lui. Il poussa un bref hurlement, projetant son souffle chaud aux visages des asiatiques.

Le dragon replia ses ailes. Il sembla remarquer la version vidéo de Simon qui poussa un couinement de terreur. Il le renifla un moment puis, il prit son élan en projetant son long cou vers l'arrière et se jeta sur Simon la gueule ouverte. Ils disparurent tous les deux dans un nuage vibrant, arrachant un hurlement médusé aux spectateurs, qui n'avaient pas bronché. Le nuage se mit en mouvement et s'éparpilla en un essaim de papillons blancs. Ils volèrent de manière erratiques pendant un moment, puis ils se regroupèrent jusqu'à former un écran devant le groupe. Les papillons s’immobilisèrent tous en même temps, et se figèrent en un bloc monolithique rectangulaire de grande dimension.

Schrödinger claqua discrètement du talon sur le sol et Simon tourna la manivelle jusqu'au bout. Il entendit les applaudissements effrénés des visiteurs japonais.

Le magicien calma les spectateurs d'un geste. Ils attendaient tous le moment où le livreur réapparaîtrait.

– Qu'est-ce que c'est? demanda monsieur Murakami.

– Qu'en pensez-vous?

– Eh bien, fit-il en rougissant sous le regard de ses compatriotes. Cela ressemble à une porte.

– Cela ne ressemble pas du tout à une porte, protesta Yo Ma.

Schrödinger se retourna vers l'écran et lui jeta un regard scrutateur.

– Vous avez raison Yo Ma. On va arranger ça.

Il tendit ensuite les mains vers la porte un instant. Puis il s'approcha et se mit à déchirer l'écran qui n'était plus qu'une enveloppe de plastique, révélant une porte de bois noir.

– C'est mieux, non? blagua le magicien en s'emparant de la poignée qu'il tourna. La porte s'ouvrit et ils purent contempler l’atelier au travers.

Il les invita tous à passer d'un côté à l'autre de la porte ce qu'ils firent avec un enthousiasme juvénile. Une fois regroupés à leur place, il ferma la porte et leur lança :

– J'ai bien peur qu'il ne faille donner un très gros pourboire à ce jeune homme.

Simon ouvrit la trappe, sortit de sa cachette et la referma sans bruit. Il frappa ensuite à la porte. Il entendit les exclamations des Japonais.

Schrödinger l’ouvrit et Simon réapparut sous les applaudissements.


Catherine : 5 août 2031, 17h43, mardi


Je débarquai du tram sur St-Laurent à la hauteur de Saint-Viateur. Je marchai jusque chez Évangéline, qui habitait au troisième étage. Schrödinger résidait au deuxième et le studio de leur maison de production occupait le rez-de-chaussée. La porte s’ouvrit au son de ma voix, et la musique m’accueillit. Je reconnus la trame sonore de sa première exposition. La silhouette de Cecilia se découpa en haut de l’escalier, tenant un verre de champagne. Simon apparut à son tour, me tendant une flute.

– Mom!

Mon fils.

– Encore ici?

– On célèbre notre invasion japonaise. Il m’embrassa. Viens, Schrödinger est là!

Je pris la coupe que Simon me tendait et les suivis au salon où je découvris Schrödinger et Évangéline, hilares. J’étais toujours heureuse de revoir Cornélius. Il n'avait pas changé. J’étais toujours étonnée de constater que le temps ne semblait avoir aucune prise sur lui. C'était d'ailleurs ce qui avait contribué à construire sa légende. Certains chroniqueurs en étaient même venus à soupçonner qu’il y avait de la « vraie » magie là-dessous.

Il y avait presque eu une histoire d’amour entre lui et moi, au début de sa collaboration avec Évangéline. On était sortis plusieurs fois ensemble et nous avions eu des relations sexuelles assez torride, mais la magie lui imposait une discipline sans faille qui laissait peu de place à la possibilité d’une vie sentimentale. De plus, je crois que le fait que son art soit basé sur la manipulation et le mensonge m’avait rendu méfiante à son endroit. J’avais toujours l’impression que son intérêt pour moi était une préparation pour un tour. Et à cette époque, je n’avais pas suffisamment confiance en moi pour pouvoir supporter autant d’ambiguité. D'ailleurs, il avait fini par se lasser de moi, car il avait commencé à m'éviter. Ensuite, j’avais rencontré Antoine avec qui j’ai vécu un bonheur parfait jusqu’à sa mort dix ans plus tard, survenu à la suite d’un banal accident de la route, que je n’ai toujours pas digéré. Néanmoins, j’ai toujours eu un petit faible pour le magicien qui, avec le temps, était pratiquement devenu le père adoptif de mon fils. Cornélius m’adressa un sourire et vint m’embrasser.

– Bonsoir Catherine, me chuchota-t-il à l’oreille.

Évangéline me serra à son tour dans ses bras.

– Allo, ma chérie!

– Alors, ça s’est bien passé à ce que j’ai cru comprendre.

– Ils ont été époustouflés, répondit Simon.

– Ça c’est vrai, poursuivit Évangéline. Cornélius et Simon se sont surpassés. Ils ont réussi à produire un dragon. Je ne parviens même pas à imaginer comment vous avez fait. Il avait l’air tellement vrai, tellement réel. Vous auriez dû voir leurs visages.

– Tu ne l’avais pas encore vu? demandai-je.

– Non, je ne suis pas assez bonne comédienne pour jouer la surprise, répondit-elle en riant, alors ils me donnent juste les détails nécessaires. En tout cas, bravo Cornélius! Encore une fois, c’était… magistral! Je te lève mon verre, mon partenaire.

Tout le monde trinqua. Comme j’étais claquée en raison de mon insomnie de la veille, je m’installai dans un fauteuil. Simon vida son verre et s’approcha de moi.

– Je dois y aller, il faut que j’aille terminer notre prestation et qu’ensuite j’écoute Faust, de Murnau pour mon cours d’éclairage.

– Terminer votre prestation?

– Oui, je dois aller faire semblant de livrer du traiteur au centre-ville.

– Pourquoi ? demanda Cecilia.

– Pour prouver aux Japonais que le traiteur est réel et que je suis bien un vrai livreur et non l’assistant de Schrödinger.

– Tiens, je t’ai mis l’adresse du restaurant où ils mangent, dit Évangéline en lui tendant un Post-it jaune. Je leur ai réservé la table près de la fenêtre, si tu passes devant, ils ne pourront pas te manquer. J'ai vérifié avec l’hôtesse, ils viennent juste d’arriver.

– C’est bon! fit Simon et il m’embrassa. J’ai besoin de quelques boîtes repas pour mettre dans le sac, au cas, ajouta-t-il à l’endroit de Schrödinger et d’Évangéline, qu’est-ce que je prends?

– Je voudrais garder le parmentier de fruits de mer, c’était excellent, répondit Évangéline qui lui emboîta le pas, suivi par Schrödinger.

– T’en a déjà mangé deux, tu m’en laisses un pour y goûter? objecta celui-ci. Et Simon, tu n’oublies pas ta postiche et…

– Cornélius, l’interrompit Simon d’une voix découragée, tout est déjà dans la voiture, je suis un professionnel.

Le magicien lui donna un bourrade amicale et Simon lui offrit en retour un sourire chargé de tendresse.

– Je sais bien, c’est moi qui t’ai formé…

Cecilia nous reservit du champagne et vint s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil que j’occupais.

– Pis, toi? Des nouvelles d’Angela?

– Non, vous avez sûrement raison Évangéline et toi, je dois m’en faire pour rien.

– En tout cas, parler d’elle et revoir Serge, ça a fait remonter beaucoup de souvenirs. Hier, j’ai sorti mes vieilles photos des matchs…

Je souris à l’évocation de ce souvenir.

– J’aurais dû les apporter, on aurait pu les regarder, ça…

Cécilia fut interrompu par le retour intempestif d'Évangéline. Elle alluma précipitamment l’écran accroché au mur d’un geste raide qui instilla un sentiment d’urgence. Je m’interrogeai sur les motivations de mon amie quand je constatai qu’il ne s’agissait que d’une conférence de presse du chef de l’opposition du gouvernement fédéral.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Cecilia.

Évangéline s’approcha de la télévision et désigna une femme blonde qui se tenait en retrait, derrière le chef de l’opposition.

– Angela passe à la télé, annonça-t-elle entre ses dents serrées.


Pour lire la suite, c'est par ici : Chapitre 1 : 2031, partie 5


Catherine : 4 août, 17h, lundi


Évangéline et Cecilia apparurent toutes deux en même temps sur l’écran de ma tablette. Évangéline coupa court aux salutations :

– Excusez-moi, mais je ne peux pas vous parler longtemps, j’ai rendez-vous avec un groupe de diffuseurs japonais dans cinq minutes et je ne suis pas prête… dit-elle en repoussant une mèche de ses courts cheveux noirs derrière son oreille.

Je l’interrompis.

– Je crois qu’Angela tente de prendre contact avec Simon.

Un silence estomaqué s’ensuivit.

– Tu es certaine? demanda Évangéline d’un ton où perçait l’inquiétude.

– Elle a pris contact avec lui? questionna ensuite Cecilia.

Je leur annonçai la mort du Dr Pandele et la rencontre de Simon avec le chiromancien.

– Tu t’en fais pour rien! conclut Cecilia.

– Ce ne sont que des coïncidences, soupira Évangéline.

– J’ai peur que Simon apprenne que je ne suis pas sa mère.

– Dis-le lui, alors! martela Évangéline.

– Et que lui répondrai-je quand il me demandera l’identité de sa vraie mère?

– La vérité, répondirent mes deux amies en chœur.

– Que je ne le sais pas?

– Tu sais très bien que c’est Angela, sa mère, poursuivit Évangéline.

– Je n’en ai pas la preuve. Le Dr Pandele a toujours refusé de me le confirmer.

– Ça, c’est la raison que tu te donnes pour ne pas aborder le sujet avec Simon, renchérit brutalement Évangéline.

– Évangéline! s’exclama Cecilia. Un peu de tact s’il te plaît!

– Ça va, Cecilia, elle a raison.

– Ton fils t’adore, continua Cecilia. Ce n’est pas ça qui va changer la relation entre vous. En plus, à l’âge qu’il a, il va comprendre pourquoi tu as voulu lui cacher l’identité de sa mère biologique si tu lui expliques.

Évangéline sortit du cadre de l’écran et revint au bout d’un court instant.

– Écoutez, mes Japonais arrivent, je vais devoir vous quitter. Mais, Catherine, rien ne t’oblige à lui dire si tu n’en n’as pas envie. Tu as d’excellentes raisons de ne pas vouloir lui révéler la vérité. Et si tu ne t’en rappelles plus, je me ferai un plaisir de te rafraîchir la mémoire.

– C’est vrai, ajouta Cecilia. Je suis d’accord avec Évangéline, ce n’est qu’une conjonction de coïncidences. Ne te tracasse pas avec ça.

– On se voit toujours demain soir? débita Évangéline rapidement. Si ça marche bien avec mes Japonais, on aura de quoi fêter!

– Oui! soupirai-je.

– Alors, je vous laisse, bisous.

Évangéline coupa la communication et le visage de Cecilia s’agrandit jusqu’à occuper tout l’écran.

– Je dois te laisser aussi, poursuivit Cecilia une fois seule à seule en ligne avec moi. Tu veux venir boire un verre à la maison ce soir pour qu’on en discute? Je n’aime pas ça savoir que tu... t'inquiètes.

– Non, ça va. Vous avez raison. Ça doit être mes hormones qui me jouent des tours.

Un silence suivi ma dernière réponse.

– Je ne suis pas en dépression, Cecilia! criai-je presque.

– Ok, ok, oh, à propos de coïncidences, tu sais qui est venu me voir cet après-midi?

– Non.

– Serge Montembre.

– Qui?

– Serge Montembre… Du Pillow Fight Club.

– Oh mon dieu, qu’est-ce qu’il te voulait?

– Repartir le club, le programme et les matchs. Il voulait que j’en sois la marraine.

– Tu as accepté?

– Bien sûr. C’est ce qui a changé notre vie à toutes les trois. C’est une façon pour moi de redonner ce que j’ai reçu.

– Tu as déjà beaucoup redonné, tu sais. Il allait bien?

– Toujours aussi gay.

Cecilia s’entretint avec sa secrétaire un moment et commença à rassembler ses longs cheveux roux en chignon grâce à un élastique qui encerclait son poignet.

– C’est le conseil d’administration du centre, les gens viennent d’arriver. Je te raconterai tout demain. Je t’embrasse.

– À demain, alors.


Albert Simpson : 4 août, 20h31, lundi

Les épinettes qui bordaient la rue Acacia défilaient de chaque côté du pare-brise. La plupart d’entre-elles étaient malades et avaient pris une teinte rouille. La pluie qui tombait en trombe, réduisait la visibilité aux quelques mètres éclairés par les phares de la voiture. Les essuies-glaces peinaient à faire leur travail et l’eau accumulée sur le pare-brise donnait l’impression que les arbres étaient en train de flamber.

Michel parcourut lentement la rue jusqu’au 541. Il stationna la voiture devant la petite clôture de fer forgé noire et tendit les clés à l’un des policiers de la GRC qui assuraient la sécurité de la résidence du chef de l’opposition du gouvernement du Canada. Il avait annoncé son arrivée, aussi on le laissa se diriger au pas de course vers la porte peinte en bleu après lui avoir remis un parapluie. Ce fut Sarah qui lui ouvrit :

– Michel! Viens, entre, entre, il pleut des cordes! Comment vas-tu?

– Ça va très bien, Madame Simpson. Et vous?

– Dieu merci, tout va pour le mieux. Est-ce que tu vas partager notre repas?

– C’est très gentil, mais malheureusement je ne peux pas, Esther et les enfants m’attendent.

Elle prit le pardessus dégoulinant de Michel et le rangea dans la garde-robe.

– Comment vont-ils?

– Très bien. Les deux jumeaux sont plus difficiles que les quatre premiers réunis. Ils ne dorment jamais en même temps. Je ne suis pas à la maison très souvent, Esther est épuisée. Aussi, elle a eu quelques problèmes avec l’allaitement au début, mais c’est rentré dans l’ordre, maintenant.

– Je vais demander à Martha d’aller lui donner un coup de main la semaine prochaine pour qu’elle puisse se reposer.

– C’est très gentil de votre part, Madame Simpson, ce sera très apprécié.

Elle l’entraîna ensuite dans l'escalier pour le conduire vers le bureau de son mari.

– Tu leur feras une grosse bise de ma part. Vous faites toujours partie de mes prières, tu sais?

– Vous faites aussi partie des nôtres, Madame Simpson.

– Passe à la cuisine avant de partir, j’ai fait du crumble aux pommes. J’en ai gardé un pour vous.

– Pas votre célèbre crumble aux pommes? Ah, Madame Simpson, ça va être de votre faute si je cède au péché de la gourmandise.

Madame Simpson ricana de bonheur, mais reprit rapidement un air sérieux qui contrastait avec sa gaîté naturelle. Michel connaissait les Simpson depuis toujours, aussi il ne put s’empêcher de montrer son inquiétude.

– Ça va, Madame Simpson?

Elle secoua la tête et retrouva son sourire.

– Oui, oui, ne t’inquiète pas. Je fais toujours un peu de nostalgie à la fin de l’été. Je m’ennuie de Jérusalem. Des récoltes qu’on faisaient tous ensemble, les confitures, les conserves…

Michel revit en pensée leur petit village de la Montérégie qu’ils avaient quitté il y avait près de quinze ans.

– C’est vrai, ça me manque aussi. J’aurais beaucoup aimé que les enfants grandissent là-bas. Mais c’est pour la gloire de notre Seigneur…

– Amen! répondit-elle en souriant à nouveau.

Elle toqua à la porte du bureau de son mari et se retira sans bruit. Michel entra, découvrant Albert Simpson derrière le bureau massif, occupé à nettoyer ses lunettes de lecture. Il porta son index à ses lèvres pour lui intimer de garder le silence et pointa son cellulaire sur son bureau, signe qu’il était en appel conférence. Il lui désigna la chaise devant son bureau, où Michel prit place.

– Jack, dit-il, le temps commence à presser, les élections ont lieu en novembre, tu le sais bien. Il va falloir que tu mettes de la pression sur le candidat. Commence doucement, mais augmente les rapidement.

– I understand, Sir, we’ll begin with rumors and silent treatment.

Michel leva la main pour faire signe à monsieur Simpson.

– Jack, j’ai Michel avec moi, je crois qu’il voudrait ajouter quelque chose. Vas-y Michel.

– Bonjour Jack!

– Bonjour Michel! répondit Jack avec un fort accent anglophone.

– Ton candidat, c’est bien Arnold Klassen?

– Oui.

– Je crois savoir qu’il a deux garçons qui jouent au soccer. Commence ton traitement du silence par sa femme et lui pour qu’il comprenne ce qui lui arrive. Ensuite, arrange-toi avec le coach des garçons pour qu’il les mette sur la touche.

– Good idea, I know their coach very well, I probably would not have to work him very hard to comply.

– Pour ton sermon de dimanche, je te conseille les verset 28:15 et 30:20 du Deutéronome.

Arthur se mit à rire.

– Of course! The Curse for disobedience. I knew I had to talk to you. Thank you so much, mister Simpson.

– De rien, Jack, je vais devoir te laisser. Je dois parler à Michel, mais tiens-moi au courant de la situation. Tous les candidats doivent être membre de notre Église et avoir un comportement exemplaire.

– I will get get back to you next week. Bonne soirée, messieurs.

Monsieur Simpson mit fin à la conversation et tendit une main à Michel que celui-ci s’empressa de serrer.

– Michel!

– Monsieur Simpson.

– Alors?

Michel ouvrit le porte document de cuir brun qu’il portait et en sortit une chemise en carton verte sur laquelle on pouvait lire le logo de l’Hôpital Général de Montréal.

– Tu as bien travaillé, Michel. Le Seigneur récompensera ta loyauté.

Albert Simpson s’empressa d’ouvrir la chemise en carton. Il parcourut le document en diagonale et sembla trouver l’information qu’il recherchait, car un grand sourire s’épanouit sur son visage.

– C’est un garçon.

– Gloire au Seigneur!

– Maintenant, il va falloir le trouver.

– Je m’en occupe, patron.


Simon : 5 août 2031, 9h47, mardi


Simon débarqua du tram sur St-Laurent à la hauteur de Saint-Viateur, les bras chargés des boîtes repas qu’il avait ramassé chez le traiteur plus tôt ce matin. Il se dirigea vers le café Olimpico pour boire un latte en attendant l’appel d’Évangéline. Il déposa les boîtes sur une table et consulta sa montre qui lui indiqua qu’il était 9 heures 57. Schrödinger, Évangéline et lui préparaient cette présentation depuis trois mois et leur tour était planifié à la seconde près. Il savait qu’en ce moment même, Évangéline proposait aux diffuseurs japonais trois choix de traiteur pour le dîner. Toute la matinée, Schrödinger avaient multiplié les allusions pour influencer leur choix vers leur traiteur français imaginaire. Il avait donc encore le temps de faire son appel avant de recevoir celui d’Évangéline qui n’était prévu que pour 10 heures 03. Il s’empara de sa tablette, repoussa ses boucles noires derrière ses oreilles et composa le numéro de Rohmelle.

– Allo Simon!

– Salut Rohmelle, tu vas bien?

– Oui, je suis contente que tu m’appelles, tu es parti si vite hier, je n’ai même pas eu le temps de te saluer.

– On s’est sauvé avant que Magister ne se mette nous faire d’autres prédictions.

– Je sais bien, c’est moi qui suis restée pognée avec.

– Oh non! s’esclaffa-t-il. Je suis désolé. J’espère en tout cas que tu ne l’as pas laissé te lire les lignes de la main. Il aurait bien été capable de te dire que tu es la réincarnation de Lady Gaga.

Rohmelle se mit à rire.

– Elle n’est pas encore morte.

– Ce n’est pas le genre de détail qui a l’air de l’embarrasser. Je crois bien que je vais devoir t’inviter à bouffer pour me faire pardonner, poursuivit-il en lui adressant un sourire charmeur. Que dirais-tu de vendredi, sept heures?

– C’est d’accord. Où veux-tu qu’on aille manger?

– Je ne sais pas trop. On s’en parle demain après le cours de scénarisation? Il faut que j’aille travailler maintenant.

– Qu’est-ce que tu fais comme travail?

Il débita la réponse convenue.

– Je m’occupe du marketing pour Schrödinger. C’est moi qui réalise ses capsules Web et qui gère les médias sociaux.

– Schrödinger, l’illusionniste?

Il agréa d’un signe de tête.

– Je comprends le tour de magie à présent. La rumeur veut qu’il serait un vrai magicien qui se cache derrière quelqu’un qui prétend que ce n’est pas vrai. Qu’est-ce qui est vrai?

Simon réprima sa joie et lui offrit un visage totalement neutre. Il était heureux de constater que leur nouveau plan de communication fonctionnait à merveille. Il avait une réponse toute prête :

– Il a toujours soutenu qu’il y avait une explication rationnelle à tous ses tours, mais je dois avouer que j’ai été témoin de choses très troublantes depuis que je travaille pour lui. On s’en reparle si tu veux, mais je dois y aller maintenant.

– Bon ben je te laisse, alors. On se parle demain. Bonne journée.

– Bonne journée.

Il déposa sa tablette, mais celle-ci sonna aussitôt. C’était encore Rohmelle.

– Allo Simon, j’ai oublié de te dire que Magister m’a fait promettre de t’annoncer que tu étais adopté.

Simon éclata de rire.

– Ça aurait pu être pire, il aurait pu prétendre que j’étais un extraterrestre. Merci, pour l’information. Je suis certain que ma mère sera enchantée de le savoir.

Simon regarda l’heure. Il était 10 heures 01. Sur sa tablette, il sélectionna le fonds d’écran qu’il avait créé et qui servirait de décor factice à l’avatar qui prendrait l’appel. Ensuite, il sortit son carnet, héla le serveur et se commanda un second latte. Sa tablette sonna à l’heure convenue.

– Marie-Antoinette, traiteur, que puis-je faire pour vous servir? répondit l’avatar d’un ton professionnel.

Simon prit la commande en note et coupa la communication. Comme Évangéline n’avait pas demandé de Root Beer, il en conclut que le tour se déroulait selon le plan établi. Il compléta la fausse commande qu’il envoya par au faux chauffeur.

Schrödinger pouvait peut-être influencer le choix du traiteur, mais il lui était impossible de prédire les plats que les spectateurs allaient choisir. Simon avait donc créé un site Web pour un traiteur imaginaire qui ne proposait qu’une sélection de cinq plats ce qui limitait le nombre de repas qu’ils avaient réellement à commander. Comme il y avait cinq invités, il lui avait donc fallu faire préparer par un vrai traiteur chacun des cinq plats proposés sur leur site en cinq exemplaires. Il avait été entendu que Schrödinger et Évangéline commanderaient un des repas qui n’avaient pas été choisi par les Japonais pour limiter l’investissement.

Simon disposa les barquettes en carton sulfurisé dans les boîtes au nom de « Marie Antoinette, traiteur ». Ils n’avaient rien négligé pour rendre la situation crédible. Outre les boîtes, ils avaient aussi fait imprimer des serviettes de table, des verres en carton recyclé, des pochettes servant à contenir les ustensiles en bambou et de grands sacs en papier aux couleurs de la compagnie imaginaire. Ils avaient même revêtu la voiture d’Évangéline d’une décoration adhésive au nom du traiteur. Et ils avaient engagé un surnuméraire qui était payé pour conduire la voiture au studio et rester à la porte habillé en livreur.

Il plaça la commande dans un des grands sacs et laissa le tout au café pendant qu’il allait acheter les breuvages au dépanneur du coin. À son retour, il s’assura qu’il avait bien respecté la commande et vida d’un trait le reste de son verre de café. Ensuite, il se dirigea vers les toilettes où il revêtit son déguisement de livreur. Il était 10 heures 17. Il pouvait attendre jusqu’à 11 heures 04 avant de se rendre au studio. Il décida donc de se commander un autre latte et entreprit de réviser le scénario qu’il devait remettre au cours du lendemain.


Pour lire la suite, c'est par ici : Chapitre 1 : 2031, partie 4


Simon : 4 août 2031, 11h55, lundi


– Fiction ou documentaire, un film raconte une histoire. Et il raconte toujours la même. La plus vieille de toutes les histoires. Celle de la guerre entre le bien et le mal. Entre la lumière et les ténèbres. Comme Gerald Messadié l’a écrit : « L’illusion de la modernité est puissante. » On a beau être en 2031, les gens pensent encore comme leurs ancêtres de la préhistoire : de façon manichéenne. Bien et mal, vérité et mensonge, beau et laid, sensibilité et raison, forme et contenu… ombre et lumière, conclut théâtralement le professeur Renoir en diminuant l’intensité de l’éclairage dans la salle de cours.

Grâce à la télécommande, il projeta l’affiche originale du film Blair Witch Project sur l’écran des tablettes des étudiants.

– Rappelez-vous ce je vous disais lors du premier cours de la session : l’éclairage sert à créer un climat visuel. L’utilisation de l’ombre et de la lumière vous permet de suggérer la tonalité des actions et de situer les personnages sur l’axe du bien et du mal en s’adressant directement à l’inconscient du spectateur. C’est pourquoi il devient possible de créer des effets d’étrangeté en brouillant les pistes. Comme dans cette affiche, par exemple. Vous pouvez remarquer que l’éclairage provient du bas du visage. De surcroît, les contrastes sont violemment marqués. Nous ne sommes jamais éclairé de cette manière dans la vie quotidienne ou dans la nature. Cet éclairage anormal provoque un sentiment de méfiance et de peur qui représente parfaitement la tonalité du film. Personne n’a besoin de lire le résumé pour comprendre qu’il s’agit d’un film d’horreur.

Des mains s’agitèrent, mais le professeur consulta sa montre et décida de les ignorer. L’affiche du film fut remplacé par l’acteur Bill Pullman qui s’enfilait plusieurs shooters dans une soirée. Simon sourit en reconnaissant l’extrait du film présenté. Son ami Mathieu, assis à sa droite, le poussa du coude.

– Regardons maintenant ce court extrait de Lost Highway, de David Lynch.

Mystery Man surgit en haut de l’escalier et se dirige vers Fred Madison, le personnage joué par Pullman. Tout le son ambiant semble aspiré à son approche. Le silence surnaturel, ajouté à l’absence de sourcils du personnage, crée un climat oppressant. Mystery Man accoste Madison avec un sourire inquiétant et affirme qu’ils se connaissent, qu’il l’a rencontré chez lui. Madison réplique qu’il n’en a aucun souvenir. Mystery Man ajoute qu’il est d’ailleurs chez Madison en ce moment même. Il lui tend son cellulaire et lui recommande d’appeler chez lui pour vérifier. Madison, ébranlé, compose son numéro de téléphone, et il entend la voix de Mystery Man qui lui répond. La scène se termine sur un duo de rires diaboliques provenant de Mystery Man et de son double au téléphone. Une des scènes les plus terrifiantes du cinéma, pensa Simon lorsque son professeur ralluma la lumière. Néanmoins, il était un de ses films préférés. Et un sujet de débat sans fin entre Schrödinger et lui.

– Qu’avez-vous remarqué de l’éclairage? demanda le professeur.

Simon fut le seul à se manifester. Le professeur lui céda la parole.

– Les deux acteurs ne sont pas éclairés du même côté.

Le professeur lui fit signe qu’il était impressionné de sa réponse. Pendant que les autres étudiants se repassaient l’extrait sur leur tablette, son ami Jonathan lui mima avec ses doigts un chien qui reniflait l’arrière train d’un autre chien. Simon pouffa de rire et lui texta : « Moi aussi, j’t’aime. »

Des coups à la porte se firent entendre et trois mines réjouies apparurent à la fenêtre, signifiant que le cours était terminé.

– On va poursuivre la semaine prochaine sur la thématique du combat entre le bien et le mal. Je voudrais que vous écoutiez le film Faust de Murnau pour le prochain cours. J’ai mis le lien sur le réseau. Je vous rappelle que vous devez aussi me remettre votre projet d’éclairage des scènes 1 à 4 la semaine prochaine. Je voudrais également que vous lisiez le document que j’ai téléversé sur le réseau à propos de l’utilisation du tungstène au cinéma. On va faire des tests d’éclairage au tungstène au prochain cours.

Les étudiants commencèrent à protester devant l’accumulation des travaux.

– Bon, bon, s’impatienta le professeur Renoir. Passez une bonne semaine. Maintenant, déguerpissez!

Simon s’assura d’avoir sauvegardé les dernières données de son laboratoire et rangea sa tablette dans une pochette prévue à cet effet dans son sac.

– On va dîner au pub ou à la cantine? demanda Mathieu.

– Au pub, parce que la cantine a été réservée par le club de jeux de rôle, expliqua Jonathan en remettant sa casquette.

La porte du local A-26 s’ouvrit et les étudiants du cours suivant se précipitèrent à l’intérieur pour tenter d’obtenir les meilleures places. Simon sortit du laboratoire d’éclairage suivi de ses deux amis

– Comment trouves-tu le prof? demanda Simon à Mathieu en descendant le large escalier de béton les menant à l’agora de l’université.

– Très solide. Mais la session vient juste de commencer, on va voir. En tout cas, tu te l’es mis dans la poche celui-là. Deuxième cours, d’habitude t’attend au troisième avant de lancer ton opération séduction, mais là…

– Qu’est-ce que tu veux, je suis charmant et charismatique. Et je suis beau bonhomme en plus. C’est difficile à cacher, blagua Simon.

– Faudrait juste qu’il arrive dans le 21e siècle par contre, bougonna Jonathan, l’éclairage au tungstène, franchement…

– Tu sais, la roue, elle a été inventée il y a longtemps et on l’utilise encore, répliqua Simon avec un sourire en coin.

– Et tu sembles aussi beaucoup te servir de la cuillère, renchérit Mathieu en pinçant un des bourrelets du jeune homme d’un air malicieux.

Simon et Mathieu s’esclaffèrent devant la mine atterrée de leur ami.

– Ouais, ouais, ouais, vous avez l’air d’aimer beaucoup ça vous foutre de ma gueule! grogna-t-il.

– On se fout de ta gueule depuis le CPE, come on! s’exclama Simon.

Mathieu se mit à bâiller et Jonathan lui enfonça son index dans la bouche.

– T’es con, mec! éructa Mathieu après avoir recraché le doigt de son copain.

– C’est à toi de mettre ta main devant ta bouche quand tu bâilles, c’est pas poli, dit Jonathan.

– Depuis quand tu donnes des cours de bonnes manières? demanda Mathieu en poussant son ami dans le mur du corridor.

– Heille, fait attention à ma caméra, face d’anus! cria Jonathan d’un ton où la moquerie avait fait place à l’agressivité.

– C’est bon, les gars, s’interposa Simon, on est à l’université, maintenant!

Ce fut toutefois, la vue de la jolie nouvelle étudiante de première année qu’ils avaient tous les trois remarquée au cours de scénarisation, et qui était sagement assise devant une bière à demi entamée, qui les calma. Les trois jeunes hommes s’approchèrent nonchalamment de l’endroit où elle était assise, et prirent place à la table la plus près. Elle adressa un sourire à Simon. Il s’apprêtait à se lever pour engager la conversation avec elle quand un homme d’un certain âge habillé de façon clownesque les aborda.

– Je vous ai senti depuis la bibliothèque, dit-il en regardant Simon avec intensité. Vous m’avez appelé à vous.

Un silence pesant s’installa. Les trois amis crurent avoir mal entendus.

– Je suis médium, j’ai senti votre présence, ajouta-t-il avec des gestes larges. Et quelle présence. Si vous voyiez votre aura, c’est extraordinaire, poursuivit-il tout en examinant attentivement quelque chose qui semblait flotter autour de Simon. Je n’ai jamais rien vu de tel.

Simon, Mathieu et Jonathan éclatèrent de rire. L’homme garda un visage impassible, totalement absorbé par ce qu’il contemplait.

– Je crois que tu t’es perdu. Le club de jeux de rôle, c’est à la cafétéria, indiqua Jonathan d’un ton mi-sérieux, mi-moqueur.

L’homme ne quitta même pas Simon des yeux. Il semblait complètement hypnotisé.

– C’est très impressionnant. Je voudrais lire votre avenir dans les lignes de votre main, proposa-t-il à Simon. Gratuitement, bien entendu!

– Vous êtes gentil, mais non merci, répondit poliment Simon se demandant si cet homme était un charlatan lui-même ou juste une de ses pauvres victimes.

– On me dit que vous êtes quelqu’un de spécial. Que vous êtes promis à un grand avenir, insista-t-il.

Simon réfléchit un moment en regardant la jeune fille de la table voisine. Celle-ci avait suivi l’échange et paraissait intriguée, il décida donc de jouer le jeu.

– C’est d’accord, mais vous nous laissez vous filmer, proposa-t-il en faisant un clin d’œil à ses deux amis.

L’homme sembla décontenancé un instant, mais acquiesça. Au cours de sa jeune carrière de réalisateur Web, Simon avait constaté que peu de gens refusaient l’opportunité de laisser leur trace sur Internet. La possibilité d’une gloire rapide et facile semblait représenter une tentation insoutenable.

Simon fit un signe à l’homme qui prit un siège à leur table. Mathieu et Jonathan s’emparèrent de leurs caméras, déplièrent leurs trépieds et disposèrent un éclairage minimal qui impressionna le chiromancien.

À la vue des caméras, une troupe s’agglutina rapidement autour de leur groupe. À l’invitation de Simon, la jeune femme s’improvisa relationniste et raconta le contexte de l’expérience en cours à l’assistance. Simon réclama le silence et fit face à la caméra.

– Nous sommes au pub de l’UQÀM le 4 août 2031. Cet homme prétend pouvoir lire mon avenir dans les lignes de ma main. Nous verrons s’il en est réellement capable. Quel est votre nom Monsieur?

– Heu, je m’appelle Magister.

– Depuis quand êtes-vous chiromancien?

– Depuis l’adolescence quand mes différents dons se sont manifestés.

– Ah, car vous avez d’autres dons? demanda-t-il surpris.

– Oui, je suis aussi médium.

– Vous parlez aux morts, c’est ça?

– Et aux anges.

– Eh bien… Il jeta un visage amusé à la caméra. D’accord, je vous laisse me lire les lignes de la main. Pour le bénéfice du spectateur, sachez que cet homme vient de m'aborder, mais que je ne l'ai jamais rencontré auparavant. Pouvez-vous me le confirmer, Magister?

– C’est tout à fait vrai et véridique, clama-t-il à la caméra.

Simon tendit sa main gauche au chiromancien qui l’examina avec la plus grande attention.

– C’est bien ce que je pensais, fit-il.

– C’est à dire?

– Laissez-moi poursuivre mon examen un moment…

Pendant que le chiromancien détaillait la paume de Simon, celui-ci sourit pour la caméra. Soudain l’homme sursauta.

– Oui, les signes concordent. Vous êtes le Nouveau Berger! Le sauveur de l’humanité. Le Second Messie!

Simon retira sa main et jeta un regard dubitatif aux spectateurs qui se mirent à ricaner silencieusement.

– Come on! T’exagères. Si tu m’avais dit que j’allais devenir riche, ça aurait au moins eu l’air crédible, mais « le sauveur de l’humanité »? Tu penses quand même pas que je vais avaler ça!

– C’est vrai! protesta-t-il en reprenant la main de Simon. Ici, il y a la croix.

– C’est une entaille que je me suis faite avec un exacto en sixième année, répliqua Simon.

Le chiromancien prit sa main droite.

– Vous n’êtes pas encore prêt à entendre la révélation de votre destin… répondit-il distraitement d’un air grave. Je lis ici que vous étudiez en cinéma…

La foule se mit à huer le chiromancien qui continua, imperturbable.

– Vous êtes fortement influencés par des personnes plus âgées que vous. Des amis de votre mère.

Simon resta de marbre, mais cette information le troubla, les amis de sa mère avaient en effet une grande importance dans sa vie.

– Celle-ci est à la tête d’une importante organisation caritative. C’est cette organisation qui va vous permettra d’accomplir votre destin…

– C’est n’importe quoi, l’interrompit Simon, ma mère n’est pas à la tête d’une importante organisation caritative, elle est professeure, ici même, en philosophie.

Il retira sa main et la plongea dans sa poche. Il se pencha vers le chiromancien et le regarda avec un air de défi.

– Tu veux vraiment savoir ce que c’est que de prédire l’avenir? Je vais te le montrer.

Et il sortit un jeu de carte neuf de sa poche qu’il présenta à la caméra. Il le fit déballer de son enveloppe de plastique par l’homme, médusé, qui venait de perdre le contrôle de son destin à lui. Simon le fit ensuite brasser. Pendant ce temps, il prit un cahier dans son sac qui reposait entre ses deux pieds sous la table, déchira un bout de papier sur lequel il rédigea deux mots et le plia en quatre. Il montra le bout de papier à tous et le remit ensuite à un des spectateurs de l’assistance.

– Maintenant, Magister, tu vas choisir une carte.

Magister prit son air le plus inspiré et retira une carte du paquet qu’il reluqua en douce.

– Je vais me retirer quelques instants afin que tu puisse la montrer à tout le monde.

Pendant que Mathieu et Jonathan suivaient le chiromancien qui montrait la carte à la foule de plus en plus bruyante, Simon agrippait la « relationniste » et l’entraînait à l’écart un moment pour lui demander son nom et son numéro de portable si elle voulait bien consentir à lui offrir. II entra le numéro de Rohmelle dans ses contacts et reprit le contrôle de son plateau.

– Maintenant Magister, tu vas remettre la carte dans le paquet et brasser.

Le chiromancien s’exécuta et remit le paquet à Simon qui examina les cartes les unes après les autres. Il arriva à la fin du paquet et sembla pris de panique. Les gens se mirent à murmurer pendant qu’il repassait minutieusement chacune des cartes. Parvenu à la fin, il parut perplexe un moment et le souffle de la foule se suspendit. Il déposa le paquet de carte sur la table et affirma :

– La carte que vous avez choisie n’est pas dans ce paquet. Je peux néanmoins vous affirmer qu’il s’agissait du 2 de pique. Est-ce exact?

Le chiromancien sourit et sembla reprendre confiance en lui.

– On ne le saura jamais, j’imagine, répondit-il.

Un sourire illumina le visage de Simon. Un cri de ravissement s’échappa de la foule qui venait de comprendre que l’air paniqué de Simon n’avait été qu’une mise en scène.

– Au contraire. Il suffit de regarder dans votre sac. Voulez-vous vérifier? La carte se trouve dans le livre Histoire des sciences occultes. À la page 666, bien sûr.

La foule se mit à applaudir. Magister, ébahi, trouva effectivement le 2 de pique dans son livre. Puis, Simon se dirigea vers la personne à qui il avait remis le bout de papier et lui demanda de le déplier. Il le présenta à l’assistance qui put constater qu’il avait bien inscrit le nom de la carte choisie par le chiromancien. Simon fit une révérence devant la caméra et devant la foule. Puis Jonathan cria « Coupé » et Magister s’empressa de raconter le destin grandiose qu’il avait prédit à Simon à l’assemblée. Simon et ses amis en profitèrent pour s’esquiver.


Journal personnel de Catherine no 23 : 4 août 2031, 16h30, lundi


C’est elle! C’est elle, je suis convaincue que c’est elle. Simon vient de revenir de l’université et il m’a raconté comment, ce midi, un homme a tenu à lui lire les lignes de la main et lui a prédit qu’il était « le Nouveau Berger, le sauveur de l’humanité, le Second Messie ». Angela avait fait le coup du chiromancien en 2010 pour aider Évangéline avec son expo. Et ce sont les termes qu’elle a employé lors de notre dernière rencontre il y a 21 ans. Elle est de retour. Que vais-je faire?


Angela : 1999


À genou sur la moquette, le corps appuyé contre son lit, la fillette appuya ses coudes sur le matelas, noua ses mains ensemble et posa son front sur elles. Elle récita le Notre-Père d’un ton enflammé.

– Je remercie le Seigneur pour notre famille, notre maison, poursuivit sa mère agenouillée pour la prière avec elle.

– Je remercie le Seigneur pour notre famille, notre maison, répéta la jeune fille avec sérieux.

– Je remercie le Seigneur pour la Communauté de Jérusalem.

– Je remercie le Seigneur pour la Communauté de Jérusalem.

– Je remercie Dieu pour mon papa, ma maman et grand-papa Ellis.

– Je remercie Dieu pour mon papa, ma maman et grand-papa Ellis.

– Amen.

– Amen.

– Allez, au dodo, Angela, ordonna la maman en se relevant.

Angela grimpa dans le lit en riant. Elle aurait voulu que sa mère se couche avec elle, juste un peu, mais sa journée n’était pas encore terminée, aussi, celle-ci lui fit la bise et la borda.

Sa mère quitta la pièce en fermant la lampe en forme de Sainte-Vierge. Angela l’entendit descendre l’escalier et se diriger vers la cuisine où elle irait faire la vaisselle. Elle entendait aussi les hommes en plein palabre dans le salon. La discussion semblait animée. Elle repoussa les couvertures et s’assit dans son lit tout en restant attentive aux bruits de la maison.

Silence à l’étage.

Sacha, Martha et Rachel aidaient sa mère à la cuisine, néanmoins, elles en auraient pour un certain temps à ramasser les vestiges du souper, lui laissant ainsi le champs libre pour un moment encore. Elle descendit de son lit aux aguets et ouvrit son coffre à jouet pour en sortir ses peluches qu'elle glissa sous ses couvertures pour leur faire prendre forme d’une petite fille endormie. Puis, elle alla à la porte et l’entrouvrit. Elle glissa son nez dans l’ouverture. La voie était libre.

Elle descendit l’escalier d’un pas leste et se dirigea vers la salle de jeu. Après avoir refermé la porte derrière elle, Angela gagna une demi porte qui donnait dans l’armoire du salon. Sa mère lui avait raconté que lorsque ses grands-parents s’étaient installés à Jérusalem, ils avaient construit cette maison qui n'était alors constituée d’une seule pièce et d’un poulailler adjacent. Cette petite porte permettait alors d’accéder au poulailler sans passer par l’extérieur. Au fil des ans, la maison s’était agrandie et maintenant le poulailler ainsi que l’étable avaient été placés en retrait. Angela ouvrit la demi porte et s’agenouilla pour y pénétrer. Elle s’installa sur les chaussures de son père et entrebâilla la porte de l’armoire. Son oncle Robert Jr. parlait des plans de construction d’une nouvelle étable plus grande pour accueillir les vaches, les moutons et les agneaux nécessaires pour alimenter les nouveaux arrivants. En effet, trois nouvelles familles viendraient s’installer à l’automne. La construction des maisons débuterait à la fin du mois prochain lors d’une série de corvées qui réuniraient tout le village.

– Qu’est-ce qu’il y a papa? demanda Robert Jr. en entendant son père marmonner.

– Je ne suis toujours pas certain qu’il s’agit de gens très convenable, rumina-t-il.

Albert leva les yeux au ciel.

– Papa, on a déjà eu cette discussion et on a voté, renchérit William, son fils cadet. Plus de familles, c’est moins de travail pour tout le monde.

– Et toute cette agitation, pour rien, poursuivit-il comme s'il n'avait rien entendu. Les signes s’accumulent. La fin du monde approche à grand pas. Ça ne sert à rien de… construire des étables. On va tous bientôt être enlevés pour aller à la rencontre de Notre Seigneur, asséna le vieillard, buté.

– Monsieur Ellis, répondit Albert, ce n'est peut-être pas pour bientôt. Mais nous sommes pieu, commença-t-il d'un ton conciliant, nous...

– Balivernes! Interrompit Ellis. Matthieu et L'Apocalyse sont très clairs à ce sujet. La Bible est la parole de Dieu…

– « De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos porte. En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. » Selon Matthieu, le retour du Messie devait avoir lieu avant la fin du premier siècle…

– Il parle en terme de dispensations et non en terme d'années. Il ne faut pas être si littéral, répliqua le vieil homme d’un ton cinglant.

Oh, oh, se dit Angela. Le tonnerre grondait.

– C’est drôle, répondit son père sur le même ton, cet après-midi c’est vous qui teniez à rester littéral quand à mon interprétation du verset 8 du chapitre 72 des Psaumes.

Son grand-père se mit à rire.

– C’est complètement ridicule. Croire que le Messie va revenir au Canada parce qu'un des versets ressemble à la devise officielle. « Qu'il domine d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'au bout de la terre. »

– Billy Graham, que vous chérissez tant, appelait bien le Canada « une superpuissance spirituelle », il est clair que le Canada a un rôle important à jouer dans la théologie de la fin du Mon…

– C’est bon, coupa son oncle! Qui va reprendre du café?

C’était peine perdu, se dit Angela. Ils savaient tous ce qui allait suivre…

– En 1919, lors de la réunion de la World’s Christian Fundamentals Association à Philadelphie…

Et voilà!

– … j’ai eu l’occasion de discuter avec William Bell Riley, l’organisateur, et nous avons posé plusieurs points de doctrine. Jamais, il ne fut question que le Christ, notre Messie, reviendrait au Canada.

– Peut-être qu’il y a une autre façon d’interpréter la Bible aussi.

Le patriarche se remit à rire, méprisant.

– Et ce serait à toi, mon gendre, de nous faire voir la Vérité? Alors, dans ce cas, que le Seigneur nous fasse un signe.

Ils furent sauvés par sa mère qui apportait le dessert. Angela en profita pour retourner se coucher pendant qu’elle servait le gâteau.

Angela remit ses peluches dans son coffre à jouet, grimpa sur son lit et s'enfouie sous les couvertures.

– Seigneur, murmura-t-elle, faites que la paix revienne à Jérusalem. J'hais ça, la chicane.


Pour lire la suite, c'est par ici : Chapitre 1 : 2031, partie 3



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